{"title":"'Cristal invisible'. Comienzos, poética y exilio en Julio Cortázar","authors":"Vera Broichhagen","doi":"10.4000/AMERICA.293","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"« 'Cristal invisible'. Commencements, poétique et exil chez Julio Cortézar ».\n On a l'habitude de chercher dans l'enfance d'un auteur les germes de sa poétique. Souvent même, dans des accès de déterminisme, on y recherche les uniques sources de son écriture. L'intellectuel germanophone Elias Canetti a signalé le risque non seulement scientifique mais aussi éthique d'une telle entreprise, tant pour l'artiste que pour son biographe. Nous portons tous en nous, dit-il, plusieurs enfances et il est aisé de trouver celle qui justifie l'œuvre. Il y a, selon Canetti, un moment décisif que traverse tout futur écrivain « après » l'enfance, et où les éléments nés durant celle-ci s'agrègent pour former ce qu'il appelle un « cristal invisible », indestructible. Ce cristal, qui rappelle les « beginnings » d'Edward Saïd, est la poétique ou la promesse de l'œuvre. Il n'a pas en lui même une force déterminante absolue ; car, comme l'exprime Jean Starobinski, une œuvre n'est jamais seulement conséquence, elle est toujours « aussi » « une manière de s'anticiper ». Le moment de cristallisation est cependant décisif, car il révèle à l'artiste - et à lui seul - son destin artistique, et les responsabilités envers ce destin : rendre visible pour les autres ce cristal, à travers l'accomplissement de l'œuvre, et le préserver de contextes qui menacent son intégrité, car il guidera la création. Je propose d'appeler « expérience du déboussolement » la vision que l'Argentin Julio Cortâzar, à la fin des années 1940, a de sa propre poétique : ce qu'il s'agit de préserver et protéger. À partir de cette idée, l'émigration de l'écrivain à Paris en 1951 peut se lire comme le geste d'un créateur qui, ayant reconnu la substance fondamentale de son art, l'isole d'un climat politique et culturel peu propice sous le premier péronisme.","PeriodicalId":448133,"journal":{"name":"América","volume":"107 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2011-09-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"América","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.4000/AMERICA.293","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
« 'Cristal invisible'. Commencements, poétique et exil chez Julio Cortézar ».
On a l'habitude de chercher dans l'enfance d'un auteur les germes de sa poétique. Souvent même, dans des accès de déterminisme, on y recherche les uniques sources de son écriture. L'intellectuel germanophone Elias Canetti a signalé le risque non seulement scientifique mais aussi éthique d'une telle entreprise, tant pour l'artiste que pour son biographe. Nous portons tous en nous, dit-il, plusieurs enfances et il est aisé de trouver celle qui justifie l'œuvre. Il y a, selon Canetti, un moment décisif que traverse tout futur écrivain « après » l'enfance, et où les éléments nés durant celle-ci s'agrègent pour former ce qu'il appelle un « cristal invisible », indestructible. Ce cristal, qui rappelle les « beginnings » d'Edward Saïd, est la poétique ou la promesse de l'œuvre. Il n'a pas en lui même une force déterminante absolue ; car, comme l'exprime Jean Starobinski, une œuvre n'est jamais seulement conséquence, elle est toujours « aussi » « une manière de s'anticiper ». Le moment de cristallisation est cependant décisif, car il révèle à l'artiste - et à lui seul - son destin artistique, et les responsabilités envers ce destin : rendre visible pour les autres ce cristal, à travers l'accomplissement de l'œuvre, et le préserver de contextes qui menacent son intégrité, car il guidera la création. Je propose d'appeler « expérience du déboussolement » la vision que l'Argentin Julio Cortâzar, à la fin des années 1940, a de sa propre poétique : ce qu'il s'agit de préserver et protéger. À partir de cette idée, l'émigration de l'écrivain à Paris en 1951 peut se lire comme le geste d'un créateur qui, ayant reconnu la substance fondamentale de son art, l'isole d'un climat politique et culturel peu propice sous le premier péronisme.