{"title":"Les enseignants français face à l’ethnicité hier et aujourd’hui. Discours critiques et impasses d’une lecture en termes de discriminations","authors":"Joëlle Perroton, C. Schiff","doi":"10.4000/rechercheformation.4291","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"La question des discriminations et du rapport du systeme scolaire aux differences et aux identites ethnoculturelles a longtemps constitue un tabou dans l’ecole francaise. Le modele republicain d’integration et la mission d’assimilation conferee a l’ecole ont pousse les enseignants a se percevoir comme les porteurs d’un universalisme eclaire et d’un egalitarisme meritocratique. Pendant longtemps, la presence de jeunes issus de l’immigration a l’ecole a plutot ete analysee et parlee sur le mode du handicap socio-culturel. Et, si la tendance a interpreter les problemes scolaires (violences, segregation, inegalites) au travers du prisme des origines ethnoculturelles des eleves est visible des les annees 1990 dans la societe francaise, elle n’emerge dans le discours enseignant que sporadiquement, sous le registre du deni ou de la mauvaise conscience. Une vingtaine d’annees apres, force est de constater que la parole enseignante a change et s’est liberee. La dimension ethnique leur apparait comme plus pregnante et les questionne directement. Cette communication se propose d’analyser de maniere longitudinale l’evolution du discours des enseignants, a travers toute une serie de recherches menees et en cours. Celles-ci vont des recherches doctorales des auteurs menees a la fin des annees 1990, l’une sur l’ethnicite a l’ecole et l’autre sur les experiences scolaires des collegiens primo-arrivants, jusqu’aux resultats issus de plusieurs programmes de recherches dont EDUMIGROM (Ethnic Differences in Education and Diverging Prospects for Urban Youth in an Enlarged Europe) et une recherche en cours intitulee ALTERECOLE (Les dynamiques territoriales et scolaires dans la construction de l’alterite : eleves migrants, itinerants et autres « outsiders » dans les espaces socio-scolaires segmentes). Ces enquetes diverses ont ete menees dans des colleges et lycees generaux et professionnels situes dans differents contextes urbains avec une approche qui associe questionnaires, entretiens avec eleves et enseignants, observations et suivis de classe et discussions en petits groupes. Nous montrerons que le discours des enseignants sur ces questions est relativement uniforme et en rapport direct avec les evolutions du monde scolaire et social. La question ethnique est souvent percue par les enseignants comme une dimension des relations sociales et scolaires qui leur echappe largement, qui penetre de l’exterieur dans le systeme scolaire comme une « contrainte » avec laquelle il faut composer. Nous montrerons donc que, si les enseignants sont de plus en plus sensibles a l’ethnicite et en parlent plus librement, ils ont du mal a percevoir la dimension contextuelle liee a l’etablissement dans la construction de l’ethnicite. Or, nos recherches nous ont conduit a observer que les effets etablissements et les dynamiques locales et territoriales pouvaient etre determinantes dans l’avenement de stigmatisation et tensions ethniques qui, loin d’etre simplement importees de l’exterieur a partir des familles, des quartiers ou des sociabilites juveniles extra-scolaires, sont souvent produites et aggravees par des fonctionnements ou dysfonctionnements dans l’organisation des classes, des filieres, des politiques d’etablissements, et au dela par la realites de la segregation scolaire. Ainsi, nous ferons l’hypothese que les approches qui isolent la question ethnique des autres dimensions de la vie scolaire et sociale, et surtout de ces dimensions contexte et etablissement, font l’impasse sur un point essentiel de levier d’action, voire meme renforce un certain aveuglement et sentiment d’impuissance des equipes dirigeantes et enseignantes qui ne font qu’aggraver les discriminations. Nous avancons donc l’idee que les politiques educatives et la formation des enseignants gagneraient a partir d’un diagnostic partage avec les equipes qui pourrait aider les etablissements a construire des politiques de lutte contre les discriminations.","PeriodicalId":38163,"journal":{"name":"Recherche et Formation","volume":" ","pages":""},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2018-12-31","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Recherche et Formation","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.4000/rechercheformation.4291","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"Social Sciences","Score":null,"Total":0}
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Abstract
La question des discriminations et du rapport du systeme scolaire aux differences et aux identites ethnoculturelles a longtemps constitue un tabou dans l’ecole francaise. Le modele republicain d’integration et la mission d’assimilation conferee a l’ecole ont pousse les enseignants a se percevoir comme les porteurs d’un universalisme eclaire et d’un egalitarisme meritocratique. Pendant longtemps, la presence de jeunes issus de l’immigration a l’ecole a plutot ete analysee et parlee sur le mode du handicap socio-culturel. Et, si la tendance a interpreter les problemes scolaires (violences, segregation, inegalites) au travers du prisme des origines ethnoculturelles des eleves est visible des les annees 1990 dans la societe francaise, elle n’emerge dans le discours enseignant que sporadiquement, sous le registre du deni ou de la mauvaise conscience. Une vingtaine d’annees apres, force est de constater que la parole enseignante a change et s’est liberee. La dimension ethnique leur apparait comme plus pregnante et les questionne directement. Cette communication se propose d’analyser de maniere longitudinale l’evolution du discours des enseignants, a travers toute une serie de recherches menees et en cours. Celles-ci vont des recherches doctorales des auteurs menees a la fin des annees 1990, l’une sur l’ethnicite a l’ecole et l’autre sur les experiences scolaires des collegiens primo-arrivants, jusqu’aux resultats issus de plusieurs programmes de recherches dont EDUMIGROM (Ethnic Differences in Education and Diverging Prospects for Urban Youth in an Enlarged Europe) et une recherche en cours intitulee ALTERECOLE (Les dynamiques territoriales et scolaires dans la construction de l’alterite : eleves migrants, itinerants et autres « outsiders » dans les espaces socio-scolaires segmentes). Ces enquetes diverses ont ete menees dans des colleges et lycees generaux et professionnels situes dans differents contextes urbains avec une approche qui associe questionnaires, entretiens avec eleves et enseignants, observations et suivis de classe et discussions en petits groupes. Nous montrerons que le discours des enseignants sur ces questions est relativement uniforme et en rapport direct avec les evolutions du monde scolaire et social. La question ethnique est souvent percue par les enseignants comme une dimension des relations sociales et scolaires qui leur echappe largement, qui penetre de l’exterieur dans le systeme scolaire comme une « contrainte » avec laquelle il faut composer. Nous montrerons donc que, si les enseignants sont de plus en plus sensibles a l’ethnicite et en parlent plus librement, ils ont du mal a percevoir la dimension contextuelle liee a l’etablissement dans la construction de l’ethnicite. Or, nos recherches nous ont conduit a observer que les effets etablissements et les dynamiques locales et territoriales pouvaient etre determinantes dans l’avenement de stigmatisation et tensions ethniques qui, loin d’etre simplement importees de l’exterieur a partir des familles, des quartiers ou des sociabilites juveniles extra-scolaires, sont souvent produites et aggravees par des fonctionnements ou dysfonctionnements dans l’organisation des classes, des filieres, des politiques d’etablissements, et au dela par la realites de la segregation scolaire. Ainsi, nous ferons l’hypothese que les approches qui isolent la question ethnique des autres dimensions de la vie scolaire et sociale, et surtout de ces dimensions contexte et etablissement, font l’impasse sur un point essentiel de levier d’action, voire meme renforce un certain aveuglement et sentiment d’impuissance des equipes dirigeantes et enseignantes qui ne font qu’aggraver les discriminations. Nous avancons donc l’idee que les politiques educatives et la formation des enseignants gagneraient a partir d’un diagnostic partage avec les equipes qui pourrait aider les etablissements a construire des politiques de lutte contre les discriminations.