{"title":"Le compas dans l’œil : la « mécanique géométrique » de Viviani au chevet de la coupole de Brunelleschi","authors":"Simon Dumas Primbault","doi":"10.3917/rhs.731.0005","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Etre ingenieur a la cour des Medicis au xviie siecle requiert une discipline a la croisee de la mathematique, des arts picturaux et des arts mecaniques. Fondee sur l’heritage d’Alberti, Vinci et Vasari, l’Accademia del disegno – reposant sur les trois piliers vasariens de la perspective lineaire, du clair-obscur et de la geometrie euclidienne – a donc ete specialement creee afin d’enseigner le dessin comme la pratique essentielle aux ingenieurs, architectes, mathematiciens, autant qu’aux peintres, decorateurs et scenographes florentins. Au debut du xviie siecle, l’Accademia opere la synthese entre la mathematique, l’art et l’ingenierie a travers le concept et la pratique du disegno.A la mort de Galilee en 1642, Vincenzio Viviani (1622-1703), dernier disciple de l’astronome pisan, devient ingenieur de la cour. Charge de l’inspection du Val d’Arno et des constructions architecturales toscanes, il doit produire des rapports d’expertise pour le corps d’ingenieurs de Florence. Chemin faisant, Viviani a laisse dans ses appunti de nombreux dessins et esquisses, realises a la sanguine, a l’encre, au crayon, pris sur le vif ou bien realises de memoire. Je me propose de plonger dans l’archive personnelle de Viviani faite de paysages et de scenes de genre autant que de schemas techniques en envisageant la surface du papier comme un lieu de savoir et en insistant sur la materialite de celui-ci comme revelatrice de gestes et de pratiques savantes et artistiques : l’observation minutieuse du reel, l’extraction des formes pertinentes, leur traduction dans un langage graphique adapte permettant l’emergence de la connaissance. Au sein d’une culture curiale qui ne fait pas de difference entre l’artiste peintre, l’ingenieur scenographe et le mathematicien dessinateur, le disegno se revele etre la competence maitresse d’une epistemologie pratique ancree dans une culture visuelle qui brouille la frontiere entre les figures modernes de l’artiste et du savant.En me tournant plus specifiquement vers les schemas geometriques produits par Viviani a l’occasion de l’etude mecanique de la coupole de Brunelleschi a la fin du siecle, j’aimerais envisager le disegno comme une forme de mathematisation de la nature opposee, dans la pratique de la naissante physico-mathematique, a d’autres formes plus symboliques. Trahissant une tension a l’œuvre entre l’ingenieur et le physico-mathematicien, entre les arts mecaniques et les sciences, cette « mecanique geometrique » annonce les limites du disegno.","PeriodicalId":82560,"journal":{"name":"Revue d'histoire des sciences et de leurs applications","volume":"1 1","pages":"5-52"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2020-06-03","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"1","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Revue d'histoire des sciences et de leurs applications","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://doi.org/10.3917/rhs.731.0005","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Etre ingenieur a la cour des Medicis au xviie siecle requiert une discipline a la croisee de la mathematique, des arts picturaux et des arts mecaniques. Fondee sur l’heritage d’Alberti, Vinci et Vasari, l’Accademia del disegno – reposant sur les trois piliers vasariens de la perspective lineaire, du clair-obscur et de la geometrie euclidienne – a donc ete specialement creee afin d’enseigner le dessin comme la pratique essentielle aux ingenieurs, architectes, mathematiciens, autant qu’aux peintres, decorateurs et scenographes florentins. Au debut du xviie siecle, l’Accademia opere la synthese entre la mathematique, l’art et l’ingenierie a travers le concept et la pratique du disegno.A la mort de Galilee en 1642, Vincenzio Viviani (1622-1703), dernier disciple de l’astronome pisan, devient ingenieur de la cour. Charge de l’inspection du Val d’Arno et des constructions architecturales toscanes, il doit produire des rapports d’expertise pour le corps d’ingenieurs de Florence. Chemin faisant, Viviani a laisse dans ses appunti de nombreux dessins et esquisses, realises a la sanguine, a l’encre, au crayon, pris sur le vif ou bien realises de memoire. Je me propose de plonger dans l’archive personnelle de Viviani faite de paysages et de scenes de genre autant que de schemas techniques en envisageant la surface du papier comme un lieu de savoir et en insistant sur la materialite de celui-ci comme revelatrice de gestes et de pratiques savantes et artistiques : l’observation minutieuse du reel, l’extraction des formes pertinentes, leur traduction dans un langage graphique adapte permettant l’emergence de la connaissance. Au sein d’une culture curiale qui ne fait pas de difference entre l’artiste peintre, l’ingenieur scenographe et le mathematicien dessinateur, le disegno se revele etre la competence maitresse d’une epistemologie pratique ancree dans une culture visuelle qui brouille la frontiere entre les figures modernes de l’artiste et du savant.En me tournant plus specifiquement vers les schemas geometriques produits par Viviani a l’occasion de l’etude mecanique de la coupole de Brunelleschi a la fin du siecle, j’aimerais envisager le disegno comme une forme de mathematisation de la nature opposee, dans la pratique de la naissante physico-mathematique, a d’autres formes plus symboliques. Trahissant une tension a l’œuvre entre l’ingenieur et le physico-mathematicien, entre les arts mecaniques et les sciences, cette « mecanique geometrique » annonce les limites du disegno.