{"title":"一个没有精神病医生的世界?","authors":"A. Révah-Lévy","doi":"10.1016/j.fjpsy.2019.10.223","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><p>On nous avait promis la révolution des psychotropes, celles des neurosciences, de l’imagerie cérébrale, de la génétique. On nous avait dit la psychiatrie est une médecine comme une autre, elle doit se plier aux modèles (si souvent décevants, si souvent inappropriés) de l’EBM. On a disqualifié pas à pas, avec application, la psychanalyse, la psychiatrie institutionnelle. Sans oublier qu’on trouve formidable en psychiatrie, le case management… On a chanté les louanges de l’ambulatoire, de l’hospitalisation courte, de la fermeture des services. On a crié aux dérives de l’isolement, mais on a malmené les soignants, trop seuls, trop peu nombreux. On a traqué les violents, forcément des malades mentaux, on a trouvé la radicalisation comme nouvel eldorado d’une injonction pour la psychiatrie. Et bien sûr voici venir le vertige de l’intelligence artificielle. Elle saura tout faire cette intelligence, poser les diagnostics, décider les traitements, suivre les patients dans leur vie quotidienne… Elle pourra tout faire parce qu’elle est intelligente. Regardons-bien ce qu’on nous dit de la psychiatrie et de la souffrance psychique, des malades mentaux, regardons comme on semble ignorer tout ce qui pourrait être de la relation de soins, avons-nous vraiment besoin de relation thérapeutique ? Pourtant c’est le seul lieu et espace de déploiement de récit, de sens, de soins. La psychiatrie pourrait bien se dissoudre dans les mirages des nouvelles promesses qui, comme toutes les autres promesses, n’aboutira sans doute pas à une vie meilleure pour nos patients. Les psychiatres savent bien au jour le jour qu’ils sont « pris » par la relation, et on voudrait nous faire croire que la relation serait une incidente, et non une centrale nucléaire. La crise de la psychiatrie est certes une affaire politique, mais aussi de représentation de ce qu’est notre objet. On ne sait plus quel est notre objet. Un cerveau, des lésions, des médicaments, des images en 3D, de l’inclusion sociale, des data sur smartphone… Notre seul objet c’est la relation, celle qui est la scène de la souffrance, du trouble, celle qui est la scène quotidienne des soins, notre seul et véritable outil de travail. La relation envers et contre tout, comme une butée, une ambition, une revendication, un objet irréductible de formation. Pour ne pas se réveiller un jour dans un monde sans psychiatre…</p></div>","PeriodicalId":12420,"journal":{"name":"French Journal of Psychiatry","volume":"1 ","pages":"Pages S30-S31"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2019-12-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":"{\"title\":\"Un monde sans psychiatre ?\",\"authors\":\"A. Révah-Lévy\",\"doi\":\"10.1016/j.fjpsy.2019.10.223\",\"DOIUrl\":null,\"url\":null,\"abstract\":\"<div><p>On nous avait promis la révolution des psychotropes, celles des neurosciences, de l’imagerie cérébrale, de la génétique. On nous avait dit la psychiatrie est une médecine comme une autre, elle doit se plier aux modèles (si souvent décevants, si souvent inappropriés) de l’EBM. On a disqualifié pas à pas, avec application, la psychanalyse, la psychiatrie institutionnelle. Sans oublier qu’on trouve formidable en psychiatrie, le case management… On a chanté les louanges de l’ambulatoire, de l’hospitalisation courte, de la fermeture des services. On a crié aux dérives de l’isolement, mais on a malmené les soignants, trop seuls, trop peu nombreux. On a traqué les violents, forcément des malades mentaux, on a trouvé la radicalisation comme nouvel eldorado d’une injonction pour la psychiatrie. Et bien sûr voici venir le vertige de l’intelligence artificielle. Elle saura tout faire cette intelligence, poser les diagnostics, décider les traitements, suivre les patients dans leur vie quotidienne… Elle pourra tout faire parce qu’elle est intelligente. Regardons-bien ce qu’on nous dit de la psychiatrie et de la souffrance psychique, des malades mentaux, regardons comme on semble ignorer tout ce qui pourrait être de la relation de soins, avons-nous vraiment besoin de relation thérapeutique ? Pourtant c’est le seul lieu et espace de déploiement de récit, de sens, de soins. La psychiatrie pourrait bien se dissoudre dans les mirages des nouvelles promesses qui, comme toutes les autres promesses, n’aboutira sans doute pas à une vie meilleure pour nos patients. Les psychiatres savent bien au jour le jour qu’ils sont « pris » par la relation, et on voudrait nous faire croire que la relation serait une incidente, et non une centrale nucléaire. La crise de la psychiatrie est certes une affaire politique, mais aussi de représentation de ce qu’est notre objet. On ne sait plus quel est notre objet. Un cerveau, des lésions, des médicaments, des images en 3D, de l’inclusion sociale, des data sur smartphone… Notre seul objet c’est la relation, celle qui est la scène de la souffrance, du trouble, celle qui est la scène quotidienne des soins, notre seul et véritable outil de travail. La relation envers et contre tout, comme une butée, une ambition, une revendication, un objet irréductible de formation. Pour ne pas se réveiller un jour dans un monde sans psychiatre…</p></div>\",\"PeriodicalId\":12420,\"journal\":{\"name\":\"French Journal of Psychiatry\",\"volume\":\"1 \",\"pages\":\"Pages S30-S31\"},\"PeriodicalIF\":0.0000,\"publicationDate\":\"2019-12-01\",\"publicationTypes\":\"Journal Article\",\"fieldsOfStudy\":null,\"isOpenAccess\":false,\"openAccessPdf\":\"\",\"citationCount\":\"0\",\"resultStr\":null,\"platform\":\"Semanticscholar\",\"paperid\":null,\"PeriodicalName\":\"French Journal of Psychiatry\",\"FirstCategoryId\":\"1085\",\"ListUrlMain\":\"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2590241519307238\",\"RegionNum\":0,\"RegionCategory\":null,\"ArticlePicture\":[],\"TitleCN\":null,\"AbstractTextCN\":null,\"PMCID\":null,\"EPubDate\":\"\",\"PubModel\":\"\",\"JCR\":\"\",\"JCRName\":\"\",\"Score\":null,\"Total\":0}","platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"French Journal of Psychiatry","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2590241519307238","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
On nous avait promis la révolution des psychotropes, celles des neurosciences, de l’imagerie cérébrale, de la génétique. On nous avait dit la psychiatrie est une médecine comme une autre, elle doit se plier aux modèles (si souvent décevants, si souvent inappropriés) de l’EBM. On a disqualifié pas à pas, avec application, la psychanalyse, la psychiatrie institutionnelle. Sans oublier qu’on trouve formidable en psychiatrie, le case management… On a chanté les louanges de l’ambulatoire, de l’hospitalisation courte, de la fermeture des services. On a crié aux dérives de l’isolement, mais on a malmené les soignants, trop seuls, trop peu nombreux. On a traqué les violents, forcément des malades mentaux, on a trouvé la radicalisation comme nouvel eldorado d’une injonction pour la psychiatrie. Et bien sûr voici venir le vertige de l’intelligence artificielle. Elle saura tout faire cette intelligence, poser les diagnostics, décider les traitements, suivre les patients dans leur vie quotidienne… Elle pourra tout faire parce qu’elle est intelligente. Regardons-bien ce qu’on nous dit de la psychiatrie et de la souffrance psychique, des malades mentaux, regardons comme on semble ignorer tout ce qui pourrait être de la relation de soins, avons-nous vraiment besoin de relation thérapeutique ? Pourtant c’est le seul lieu et espace de déploiement de récit, de sens, de soins. La psychiatrie pourrait bien se dissoudre dans les mirages des nouvelles promesses qui, comme toutes les autres promesses, n’aboutira sans doute pas à une vie meilleure pour nos patients. Les psychiatres savent bien au jour le jour qu’ils sont « pris » par la relation, et on voudrait nous faire croire que la relation serait une incidente, et non une centrale nucléaire. La crise de la psychiatrie est certes une affaire politique, mais aussi de représentation de ce qu’est notre objet. On ne sait plus quel est notre objet. Un cerveau, des lésions, des médicaments, des images en 3D, de l’inclusion sociale, des data sur smartphone… Notre seul objet c’est la relation, celle qui est la scène de la souffrance, du trouble, celle qui est la scène quotidienne des soins, notre seul et véritable outil de travail. La relation envers et contre tout, comme une butée, une ambition, une revendication, un objet irréductible de formation. Pour ne pas se réveiller un jour dans un monde sans psychiatre…