Analyse économique et sociologique du travail saisonnier dans le domaine agricole

Abstract

Le recours croissant à des salariés saisonniers, dont la précarité contractuelle est souvent subie, est une mutation importante du monde agricole. Ce travail de recherche vise à comprendre les mécanismes soutenant ce recours, pourtant associé à des impacts négatifs sur les salariés concernés, notamment en termes de conditions de travail. Pour étudier ce sujet, les apports de plusieurs programmes de recherche en économie et d’autres sciences sociales sont mobilisés. Ce travail de recherche repose sur trois analyses complémentaires : celle des conditions d’exercice de l’activité agricole en France, celle des politiques publiques régulant ces conditions, et celle de la configuration institutionnelle permettant l’évolution de ces politiques. Plusieurs sources sont mobilisées : des données administratives, une étude de terrain, des entretiens institutionnels, et les littératures scientifiques, syndicales, administratives et réglementaires. Les résultats obtenus permettent de dresser une typologie des statuts professionnels en agriculture, et montrent la diversité de profils des salariés précaires : saisonniers professionnels locaux, migrants pendulaires, chômeurs ruraux, retraités, étudiants. En nombre de personnes, les salariés agricoles précaires représentent en 2016 plus de la moitié des travailleurs du secteur agricole et ils y réalisent près d’un quart des heures de travail. Le recours généralisé au salariat précaire est confirmé comme ayant des impacts négatifs sur les conditions de travail et de revenu des salariés agricoles précaires. Ces salariés précaires n’ont dans les faits que des droits de protection sociale limités, dus à la faible application des politiques publiques garantissant ces droits. À l’inverse, les employeurs agricoles bénéficient de politiques publiques, coûteuses pour les pouvoirs publics, qui facilitent le recours à des salariés précaires et les maintiennent dans une trappe à bas salaires. De plus, la configuration des instances de construction institutionnelle limite la capacité des salariés précaires et de leurs représentants à y faire valoir leurs intérêts, stabilisant la situation. Trois mécanismes expliquent alors la croissance continue du recours à ces salariés précaires agricoles : le maintien d’une diversité des sources de salariés mobilisables par les employeurs ; l’opacité entretenue autour du recours à des salariés précaires ; et une évolution des instances en place décorrélée de la démographie du secteur. Ces mécanismes permettent d’éviter des conflits autour des conditions d’emploi des salariés précaires, mais sans résoudre ces dits-conflits, rendant incertaine la stabilité à moyen-terme de cette configuration institutionnelle.