Intoxications par l’éthylène glycol : point sur les recommandations de traitement par fomépizole, analyse des cas des centres antipoison de Nancy et Paris entre 2019 et 2023
{"title":"Intoxications par l’éthylène glycol : point sur les recommandations de traitement par fomépizole, analyse des cas des centres antipoison de Nancy et Paris entre 2019 et 2023","authors":"","doi":"10.1016/j.toxac.2024.08.036","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><h3>Objectif</h3><p>L’éthylène glycol (EGL) [CAS : 107-21-1] est un polyalcool principalement utilisé comme antigel dans les liquides de refroidissement pour moteurs thermiques et dans les dégivrants de pare-brise. Au 24 mai 2024, la base nationale des produits et compositions (BNPC) du système d’information des centres antipoison (SICAP) comporte 914 produits commerciaux qui en contiennent avec parfois des concentrations de plus de 90 %. Le fomépizole (4-méthylpyrazole) est l’antidote de première intention des intoxications par EGL. Nos objectifs, à partir d’une revue de la littérature comparée à un état des lieux de la pratique clinique, sont de répondre aux questions suivantes : à partir de quelle dose supposée ingérée d’EGL doit-on craindre une intoxication, comment et quand la traiter ?</p></div><div><h3>Méthode</h3><p>Dans PubMed, recherche des articles avec les mots-clés « <em>fomepizole, ethylene glycol, poisoning</em> », publiés entre 2009 et 2024. Dans SICAP, extraction de tous les cas d’exposition par voie orale, entre 2019 et 2023, à des liquides de refroidissement ou à des produits antigel contenant la substance « éthylène glycol », pour lesquels les centres antipoison de Nancy et de Paris étaient les référents. Relecture critique, synthèse des cas.</p></div><div><h3>Résultats</h3><p>L’analyse bibliographique identifiait 98 références, dont seulement 24 articles traitaient spécifiquement de l’utilisation du fomépizole après exposition à l’EGL. Les publications pédiatriques étaient très rares (<em>n</em> <!-->=<!--> <!-->5). En termes d’indication du fomépizole, toutes les publications suivaient les recommandations de l’<em>American Academy of Clinical Toxicology</em>, basées uniquement sur des critères paracliniques. En termes de modalités d’administration du fomépizole, toutes suivaient le protocole de Barceloux et al. (1999), visant un objectif de concentration plasmatique en EGL inférieure à 20<!--> <!-->mg/dL (0,2<!--> <!-->g/L) en fin de traitement. Dans SICAP, 131 cas ont été identifiés. Seuls 81 précisaient une dose supposée ingérée, dont 27 de manière quantitative avec le poids du patient (20,6 %). Parmi ces 27 cas, 14 n’ont présenté aucun symptôme (EGL<!--> <!-->=<!--> <!-->0,04<!--> <!-->mL/kg – 0,97<!--> <!-->mL/kg, médiane<!--> <!-->=<!--> <!-->0,145<!--> <!-->mL/kg ; s<!--> <!-->=<!--> <!-->0,25). 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Le fomépizole agit en bloquant l’alcool déshydrogénase, première étape métabolique d’oxydation ; l’intérêt de son utilisation diminue donc à mesure que les métabolites sont formés. Dans les 12 premières heures, la dépression dose-dépendant du système nerveux central est inconstante et les complications surviennent secondairement. Cet intervalle libre faussement rassurant, l’accumulation cliniquement silencieuse des métabolites toxiques et les délais d’obtention des résultats des dosages sanguins, donnent sens à une prise en charge antidotique précoce.</p></div><div><h3>Conclusion</h3><p>Les recommandations de prise en charge des intoxications par éthylène glycol ne semblent pas avoir évolué ces 15 dernières années mais reposent sur des critères paracliniques sous entendant donc l’existence d’une prise en charge médicale. La mise en œuvre de l’antidote repose toujours sur le protocole proposé par Barceloux et al. Les cas issus de SICAP (soit 27 cas retenus) nous paraissent en cohérence avec les critères énoncés mais suggèrent néanmoins l’intérêt de débuter précocement le fomépizole si le contexte d’intoxication est auto-infligé ou si la dose supposée ingérée dépasse 1<!--> <!-->mL/kg. Néanmoins, considérant la quantité limitée des dossiers permettant une quantification, une étude plus large est souhaitable pour confirmer ce seuil. 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Abstract
Objectif
L’éthylène glycol (EGL) [CAS : 107-21-1] est un polyalcool principalement utilisé comme antigel dans les liquides de refroidissement pour moteurs thermiques et dans les dégivrants de pare-brise. Au 24 mai 2024, la base nationale des produits et compositions (BNPC) du système d’information des centres antipoison (SICAP) comporte 914 produits commerciaux qui en contiennent avec parfois des concentrations de plus de 90 %. Le fomépizole (4-méthylpyrazole) est l’antidote de première intention des intoxications par EGL. Nos objectifs, à partir d’une revue de la littérature comparée à un état des lieux de la pratique clinique, sont de répondre aux questions suivantes : à partir de quelle dose supposée ingérée d’EGL doit-on craindre une intoxication, comment et quand la traiter ?
Méthode
Dans PubMed, recherche des articles avec les mots-clés « fomepizole, ethylene glycol, poisoning », publiés entre 2009 et 2024. Dans SICAP, extraction de tous les cas d’exposition par voie orale, entre 2019 et 2023, à des liquides de refroidissement ou à des produits antigel contenant la substance « éthylène glycol », pour lesquels les centres antipoison de Nancy et de Paris étaient les référents. Relecture critique, synthèse des cas.
Résultats
L’analyse bibliographique identifiait 98 références, dont seulement 24 articles traitaient spécifiquement de l’utilisation du fomépizole après exposition à l’EGL. Les publications pédiatriques étaient très rares (n = 5). En termes d’indication du fomépizole, toutes les publications suivaient les recommandations de l’American Academy of Clinical Toxicology, basées uniquement sur des critères paracliniques. En termes de modalités d’administration du fomépizole, toutes suivaient le protocole de Barceloux et al. (1999), visant un objectif de concentration plasmatique en EGL inférieure à 20 mg/dL (0,2 g/L) en fin de traitement. Dans SICAP, 131 cas ont été identifiés. Seuls 81 précisaient une dose supposée ingérée, dont 27 de manière quantitative avec le poids du patient (20,6 %). Parmi ces 27 cas, 14 n’ont présenté aucun symptôme (EGL = 0,04 mL/kg – 0,97 mL/kg, médiane = 0,145 mL/kg ; s = 0,25). Parmi les 13 cas restants, 8 étaient des intoxications accidentelles avec des symptômes indicatifs d’une intoxication aux glycols de gravité variée. Pour 4 de ces 13 cas, un traitement antidotique avait été préconisé (EGL = 1,7.10-7mL/kg – 3,75 mL/kg, médiane 0,58 mL/kg ; s = 1,75), et parmi ceux-ci, 3 cas (75 %) étaient des intoxications volontaires. Un seul décès a été retrouvé, dans un contexte de suicide avec prise en charge retardée et détresse vitale à l’admission. À l’admission, le dosage en EGL était de 620 mg/L ; aucune précision sur la quantité ingérée n’était disponible.
Discussion
L’EGL est rapidement métabolisé par des étapes d’oxydation successives, les principaux métabolites sont responsables de l’acidose métabolique et de l’atteinte rénale observés dans les expositions significatives. Le fomépizole agit en bloquant l’alcool déshydrogénase, première étape métabolique d’oxydation ; l’intérêt de son utilisation diminue donc à mesure que les métabolites sont formés. Dans les 12 premières heures, la dépression dose-dépendant du système nerveux central est inconstante et les complications surviennent secondairement. Cet intervalle libre faussement rassurant, l’accumulation cliniquement silencieuse des métabolites toxiques et les délais d’obtention des résultats des dosages sanguins, donnent sens à une prise en charge antidotique précoce.
Conclusion
Les recommandations de prise en charge des intoxications par éthylène glycol ne semblent pas avoir évolué ces 15 dernières années mais reposent sur des critères paracliniques sous entendant donc l’existence d’une prise en charge médicale. La mise en œuvre de l’antidote repose toujours sur le protocole proposé par Barceloux et al. Les cas issus de SICAP (soit 27 cas retenus) nous paraissent en cohérence avec les critères énoncés mais suggèrent néanmoins l’intérêt de débuter précocement le fomépizole si le contexte d’intoxication est auto-infligé ou si la dose supposée ingérée dépasse 1 mL/kg. Néanmoins, considérant la quantité limitée des dossiers permettant une quantification, une étude plus large est souhaitable pour confirmer ce seuil. À défaut, une surveillance à domicile semble une mesure raisonnable et protectrice.