{"title":"Lorsque les soins de réanimation deviennent déraisonnables : réflexion éthique à partir d’une expérience partagée","authors":"B. Suprin","doi":"10.1016/j.etiqe.2024.07.007","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><div>En raison du développement exponentiel des nouvelles technologies et des innovations scientifiques, repoussant toujours plus loin les limites de la vie, depuis la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, les questionnements éthiques se sont invités dans le domaine médical et sont devenus de plus en plus prégnants. À partir d’une expérience vécue dans un service de réanimation de chirurgie cardiaque, l’article explore les questions suscitées au cours du processus de décision accompagnant la démarche de soin dans une sphère de haute technicité médicochirurgicale. Comment l’implantation d’une assistance cardiaque, s’inscrivant initialement dans un projet thérapeutique visant à être bienfaisant, a-t-elle pu déboucher sur une situation inextricable de marasme clinique, parcourue par des tensions éthiques vives ? La médecine, en tant que science, dont la dimension technologique s’accroît, tend à repousser les frontières de notre mortalité, au risque de nier la vulnérabilité constitutive de notre humanité. L’autonomie du patient est primordiale dans le cadre actuel de la relation médecin-patient. Cependant, dans les unités de soins intensifs, la valeur du consentement des patients peut être mise en doute en raison de leur fragilité physique et de leur extrême vulnérabilité. Dans ces situations, les soignants peuvent aussi être émotionnellement touchés, d’où une « <em>vulnérabilité partagée</em> » soignant–soigné. Ainsi, la question centrale est la justesse du soin et son équité, en particulier dans les services de haute technicité. En effet, la tension entre principes de bienfaisance et de non-malfaisance peut déboucher sur le redouté « <em>soin futile</em> » voire sur une situation d’obstination déraisonnable. La responsabilité médicale et soignante, inaliénable, est ici convoquée : l’impératif moral de « <em>prudence</em> », compris en un sens aristotélicien, gagnerait à être rappelé pour préserver l’humanité du soin, à l’écoute éthique de ces situations particulières.</div></div><div><div>Due the exponential development of new technologies and scientific innovations pushing back the limits of life since 1945, ethical issues are becoming increasingly prevalent in the field of medicine. Drawing on a clinical situation experienced in a cardiac surgery intensive care unit, this article explores the questions elicited by the decision-making process during care provision in a highly technical medical and surgical environment. How can the implantation of a cardiac device, as a part of a treatment strategy designed to be beneficial, become a morass of increasingly severe medical conditions, fraught with acute ethical tensions? Medical science, with its growing technological dimension, is pushing back the limits of our mortality, at the risk of losing our humanity. The patient's autonomy is primordial in the modern framework of the doctor/patient relationship. However, in Intensive Care Units, the value of patient consent may be doubted because of their physical fragility and extreme vulnerability. Caregivers in these situations can also be emotionally impacted and this leads to “<em>shared vulnerability</em>”. Thus, the key issue is whether the treatment is suitable and fair to all concerned particularly in high-tech care units. The conflict between the principles of beneficence and non-maleficence may result in the dreaded “<em>futile care</em>” situation or even a situation of unreasonable obstinacy. The caregiver's inalienable responsibility must be called upon: the moral imperative of “<em>prudence</em>”, understood in the Aristotelian sense, should be underlined in order to preserve the humanity of care through ethical attention to the particular circumstances of each situation.</div></div>","PeriodicalId":72955,"journal":{"name":"Ethique & sante","volume":"21 4","pages":"Pages 264-271"},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2024-08-16","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Ethique & sante","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1765462924000771","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
En raison du développement exponentiel des nouvelles technologies et des innovations scientifiques, repoussant toujours plus loin les limites de la vie, depuis la seconde moitié du XXe siècle, les questionnements éthiques se sont invités dans le domaine médical et sont devenus de plus en plus prégnants. À partir d’une expérience vécue dans un service de réanimation de chirurgie cardiaque, l’article explore les questions suscitées au cours du processus de décision accompagnant la démarche de soin dans une sphère de haute technicité médicochirurgicale. Comment l’implantation d’une assistance cardiaque, s’inscrivant initialement dans un projet thérapeutique visant à être bienfaisant, a-t-elle pu déboucher sur une situation inextricable de marasme clinique, parcourue par des tensions éthiques vives ? La médecine, en tant que science, dont la dimension technologique s’accroît, tend à repousser les frontières de notre mortalité, au risque de nier la vulnérabilité constitutive de notre humanité. L’autonomie du patient est primordiale dans le cadre actuel de la relation médecin-patient. Cependant, dans les unités de soins intensifs, la valeur du consentement des patients peut être mise en doute en raison de leur fragilité physique et de leur extrême vulnérabilité. Dans ces situations, les soignants peuvent aussi être émotionnellement touchés, d’où une « vulnérabilité partagée » soignant–soigné. Ainsi, la question centrale est la justesse du soin et son équité, en particulier dans les services de haute technicité. En effet, la tension entre principes de bienfaisance et de non-malfaisance peut déboucher sur le redouté « soin futile » voire sur une situation d’obstination déraisonnable. La responsabilité médicale et soignante, inaliénable, est ici convoquée : l’impératif moral de « prudence », compris en un sens aristotélicien, gagnerait à être rappelé pour préserver l’humanité du soin, à l’écoute éthique de ces situations particulières.
Due the exponential development of new technologies and scientific innovations pushing back the limits of life since 1945, ethical issues are becoming increasingly prevalent in the field of medicine. Drawing on a clinical situation experienced in a cardiac surgery intensive care unit, this article explores the questions elicited by the decision-making process during care provision in a highly technical medical and surgical environment. How can the implantation of a cardiac device, as a part of a treatment strategy designed to be beneficial, become a morass of increasingly severe medical conditions, fraught with acute ethical tensions? Medical science, with its growing technological dimension, is pushing back the limits of our mortality, at the risk of losing our humanity. The patient's autonomy is primordial in the modern framework of the doctor/patient relationship. However, in Intensive Care Units, the value of patient consent may be doubted because of their physical fragility and extreme vulnerability. Caregivers in these situations can also be emotionally impacted and this leads to “shared vulnerability”. Thus, the key issue is whether the treatment is suitable and fair to all concerned particularly in high-tech care units. The conflict between the principles of beneficence and non-maleficence may result in the dreaded “futile care” situation or even a situation of unreasonable obstinacy. The caregiver's inalienable responsibility must be called upon: the moral imperative of “prudence”, understood in the Aristotelian sense, should be underlined in order to preserve the humanity of care through ethical attention to the particular circumstances of each situation.