{"title":"Au-delà de la modernité ? La nature dans la “science naturelle” d’Imanishi et dans l’“agriculture naturelle” de Fukuoka","authors":"A. Berque","doi":"10.4000/transtexts.1160","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"IMANISHI Kinji (1902-1992) et FUKUOKA Masanobu (1913-2008), le premier naturaliste et le second agriculteur, ont en commun d’avoir radicalement conteste l’attitude moderne devant la nature. Aux sciences de la nature (shizen kagaku 自然科学), qui font de celle-ci une mecanique objectale, Imanishi opposa une « science naturelle » (shizengaku 自然学), dans laquelle le travail du scientifique poursuivrait le cours de la nature elle-meme, supprimant du meme coup le gouffre creuse par le dualisme entre sujet humain et objet non humain. Fukuoka, pour sa part, prit l’exact contrepied de l’agronomie moderne, en pronant une « agronomie naturelle » (shizen noho 自然農法) sans labour, sans engrais chimiques, sans pesticides et sans desherbage, mais obtenant neanmoins indefiniment de gros rendements sans rotations sur le meme sol. Leurs theses et leurs methodes, a l’un comme a l’autre, ont ete chaudement controversees, voire ostracisees, mais toujours est-il qu’Imanishi, pour avoir le premier applique en primatologie les methodes de l’anthropologie, a ete en ce domaine l’initiateur de ce qu’un Frans de Waal a reconnu comme un paradigm shift, aujourd’hui a ce point universalise que les jeunes primatologues occidentaux en ignorent l’origine et jusqu’au nom d’Imanishi, tandis que Fukuoka est internationalement celebre comme l’une des grandes figures de l’agroecologie. L’un comme l’autre ont ete des penseurs, chez lesquels la notion de nature (shizen 自然) se nourrit de l’heritage taoiste et bouddhique propre a l’Asie orientale, ainsi que, en particulier chez Imanishi, de la pensee de l’ecole de Kyoto, centree sur NISHIDA Kitaro (1870-1945), se rattachant ainsi a ce que celui-ci nomma « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) ou « logique du predicat (jutsugo no ronri 述語の論理), voire au courant du « depassement de la modernite » (kindai no chokoku 近代の超克) auquel pretendit cette ecole, mais qui en realite ne fut qu’un renversement speculaire du paradigme moderne, et qui sombra dans l’irrationnel. Cet article discute ces divers apparentements, tout en sondant la possibilite d’etablir un lien entre les deux penseurs et ce que vise la mesologie (dans le fil de l’Umweltlehre d’Uexkull et du fudoron 風土論 de Watsuji) : depasser rationnellement l’image de la nature que nous imposent encore le dualisme et le mecanicisme du paradigme occidental moderne classique, depassement qui seul pourra nous eviter la demesure fatale que laisse augurer l’ideologie de la geo-ingenierie et du transhumanisme.","PeriodicalId":42064,"journal":{"name":"Transcultural Studies","volume":"16 1","pages":""},"PeriodicalIF":0.1000,"publicationDate":"2018-12-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Transcultural Studies","FirstCategoryId":"95","ListUrlMain":"https://doi.org/10.4000/transtexts.1160","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"HISTORY","Score":null,"Total":0}
引用次数: 0
Abstract
IMANISHI Kinji (1902-1992) et FUKUOKA Masanobu (1913-2008), le premier naturaliste et le second agriculteur, ont en commun d’avoir radicalement conteste l’attitude moderne devant la nature. Aux sciences de la nature (shizen kagaku 自然科学), qui font de celle-ci une mecanique objectale, Imanishi opposa une « science naturelle » (shizengaku 自然学), dans laquelle le travail du scientifique poursuivrait le cours de la nature elle-meme, supprimant du meme coup le gouffre creuse par le dualisme entre sujet humain et objet non humain. Fukuoka, pour sa part, prit l’exact contrepied de l’agronomie moderne, en pronant une « agronomie naturelle » (shizen noho 自然農法) sans labour, sans engrais chimiques, sans pesticides et sans desherbage, mais obtenant neanmoins indefiniment de gros rendements sans rotations sur le meme sol. Leurs theses et leurs methodes, a l’un comme a l’autre, ont ete chaudement controversees, voire ostracisees, mais toujours est-il qu’Imanishi, pour avoir le premier applique en primatologie les methodes de l’anthropologie, a ete en ce domaine l’initiateur de ce qu’un Frans de Waal a reconnu comme un paradigm shift, aujourd’hui a ce point universalise que les jeunes primatologues occidentaux en ignorent l’origine et jusqu’au nom d’Imanishi, tandis que Fukuoka est internationalement celebre comme l’une des grandes figures de l’agroecologie. L’un comme l’autre ont ete des penseurs, chez lesquels la notion de nature (shizen 自然) se nourrit de l’heritage taoiste et bouddhique propre a l’Asie orientale, ainsi que, en particulier chez Imanishi, de la pensee de l’ecole de Kyoto, centree sur NISHIDA Kitaro (1870-1945), se rattachant ainsi a ce que celui-ci nomma « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) ou « logique du predicat (jutsugo no ronri 述語の論理), voire au courant du « depassement de la modernite » (kindai no chokoku 近代の超克) auquel pretendit cette ecole, mais qui en realite ne fut qu’un renversement speculaire du paradigme moderne, et qui sombra dans l’irrationnel. Cet article discute ces divers apparentements, tout en sondant la possibilite d’etablir un lien entre les deux penseurs et ce que vise la mesologie (dans le fil de l’Umweltlehre d’Uexkull et du fudoron 風土論 de Watsuji) : depasser rationnellement l’image de la nature que nous imposent encore le dualisme et le mecanicisme du paradigme occidental moderne classique, depassement qui seul pourra nous eviter la demesure fatale que laisse augurer l’ideologie de la geo-ingenierie et du transhumanisme.
期刊介绍:
The Journal of Transcultural Studies is a peer-reviewed, open-access journal committed to promoting the knowledge and research of transculturality in all disciplines. It is published by the Cluster of Excellence “Asia and Europe in a Global Context: The Dynamics of Transculturality” of the Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg.