{"title":"La question de l’identité : pour une sémiotique éco-anthropologique","authors":"C. Calame","doi":"10.25965/as.6422","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"1. L’identité entre éco-anthropologie et sémiopoiétique Ballottée entre « identités nationales » et « politiques identitaires », entre des identités individuelles exacerbées et des affirmations identitaires visant l’exclusion, la notion d’identité, non sans raison, a désormais mauvaise réputation. C’est le cas en particulier chez les anthropologues. Parmi eux, Francesco Remotti, depuis Contro l’identità (1996) jusqu’à L’ossessione identitaria (2010), s’est montré particulièrement critique1. Tout d’abord contre une identité qui se révèle à ses yeux être un masque, sinon une fiction visant à cacher la précarité d’un « je » qui se gonfle en un « nous » à son tour très précaire ; contre une identité plurielle aussi, qui, se configurant comme une « illusion », ne peut s’affirmer que face à une altérité tout aussi fictionnelle. Puis face à une modernité entraînée par un processus généralisé de « déculturation » au profit d’un monde asservi au marché et à la consommation de biens matériels : constat d’un monde pauvre en « relations et projets de coexistence ». Tout cela incline à se passer du concept d’identité « avec ses mythes, aussi misérables qu’ils sont stupides »2. Néanmoins, l’existence même du corps propre, avec notamment ses dispositions génétiques et ses capacités neuronales, oblige à reconnaître pour toute personne une identité in-dividuelle : en-deçà de toute essentialisation philosophique du « sujet » et au-delà de la dialectique ricœurienne entre l’idem et l’ipse (sur laquelle on va revenir), l’identité, à nos yeux, se construit et se modifie de manière constitutivement « anthropo-poiétique », c’est-à-dire dans une fabrication interactionnelle et culturelle de l’être humain avec ses proches, en particulier par la communication langagière, qui à l’évidence relève d’une sémiotique. Mais, fondée sur le corps propre et l’organe cérébral qui l’anime, l’individu, avec son identité sociale et culturelle, se constitue aussi de manière « éco-poiétique », dans l’interaction avec un monde environnant dont il partage les qualités physiques, chimiques et biologiques et dont il ne cesse d’interpréter, également de manière sémiotique, la matérialité afin d’en user — quand il n’en abuse pas. Complexe et fluide, l’identité de chaque individu se fait et se défait dans l’interaction avec des ensembles socio-culturels multiformes et avec un environnement physique et biologique qu’il rend signifiant. S’il est juste de dénoncer les identités, singulières ou collectives, qui s’affirmeraient dans une prétendue pureté du même en opposition à d’autres, sinon aux autres, s’il est légitime de les interroger comme fictions et d’en dénoncer l’extrême précarité de fait, s’il est indispensable d’éviter d’en faire des","PeriodicalId":64325,"journal":{"name":"新作文(小学123年级)","volume":"9 1","pages":""},"PeriodicalIF":0.0000,"publicationDate":"2020-02-28","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"2","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"新作文(小学123年级)","FirstCategoryId":"1092","ListUrlMain":"https://doi.org/10.25965/as.6422","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"","JCRName":"","Score":null,"Total":0}
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Abstract
1. L’identité entre éco-anthropologie et sémiopoiétique Ballottée entre « identités nationales » et « politiques identitaires », entre des identités individuelles exacerbées et des affirmations identitaires visant l’exclusion, la notion d’identité, non sans raison, a désormais mauvaise réputation. C’est le cas en particulier chez les anthropologues. Parmi eux, Francesco Remotti, depuis Contro l’identità (1996) jusqu’à L’ossessione identitaria (2010), s’est montré particulièrement critique1. Tout d’abord contre une identité qui se révèle à ses yeux être un masque, sinon une fiction visant à cacher la précarité d’un « je » qui se gonfle en un « nous » à son tour très précaire ; contre une identité plurielle aussi, qui, se configurant comme une « illusion », ne peut s’affirmer que face à une altérité tout aussi fictionnelle. Puis face à une modernité entraînée par un processus généralisé de « déculturation » au profit d’un monde asservi au marché et à la consommation de biens matériels : constat d’un monde pauvre en « relations et projets de coexistence ». Tout cela incline à se passer du concept d’identité « avec ses mythes, aussi misérables qu’ils sont stupides »2. Néanmoins, l’existence même du corps propre, avec notamment ses dispositions génétiques et ses capacités neuronales, oblige à reconnaître pour toute personne une identité in-dividuelle : en-deçà de toute essentialisation philosophique du « sujet » et au-delà de la dialectique ricœurienne entre l’idem et l’ipse (sur laquelle on va revenir), l’identité, à nos yeux, se construit et se modifie de manière constitutivement « anthropo-poiétique », c’est-à-dire dans une fabrication interactionnelle et culturelle de l’être humain avec ses proches, en particulier par la communication langagière, qui à l’évidence relève d’une sémiotique. Mais, fondée sur le corps propre et l’organe cérébral qui l’anime, l’individu, avec son identité sociale et culturelle, se constitue aussi de manière « éco-poiétique », dans l’interaction avec un monde environnant dont il partage les qualités physiques, chimiques et biologiques et dont il ne cesse d’interpréter, également de manière sémiotique, la matérialité afin d’en user — quand il n’en abuse pas. Complexe et fluide, l’identité de chaque individu se fait et se défait dans l’interaction avec des ensembles socio-culturels multiformes et avec un environnement physique et biologique qu’il rend signifiant. S’il est juste de dénoncer les identités, singulières ou collectives, qui s’affirmeraient dans une prétendue pureté du même en opposition à d’autres, sinon aux autres, s’il est légitime de les interroger comme fictions et d’en dénoncer l’extrême précarité de fait, s’il est indispensable d’éviter d’en faire des