{"title":"Sortir de l’ombre, défier la peur : opportunités et défis des technologies numériques pour les minorités sexuelles et de genre au Cameroun","authors":"Larissa Kojoué","doi":"10.1080/00083968.2023.2213352","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"RÉSUMÉCet article analyse la portée politique des différents usages des technologies numériques que les minorités sexuelles exploitent à des fins de visibilité au Cameroun. Il s’appuie sur une enquête de terrain menée à Yaoundé et à Douala, entre 2017 et 2018, ainsi que sur une veille ethnographique numérique réalisée sur Instagram, Facebook, Twitter et TikTok. Dans un contexte hostile aux pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, de plus en plus de voix s’élèvent sur les réseaux sociaux pour affirmer publiquement leur homosexualité et ou leur trans identité. Les coûts de cette visibilité sont pourtant considérables. Les réseaux sociaux sont-ils en mesure d’influencer les perceptions, les attitudes et les politiques vis-à-vis des minorités sexuelles et de genre au Cameroun?ABSTRACTThis article analyses the political significance of the diversity of digital practices that sexual minorities exploit for visibility in Cameroon. It is based on a field survey conducted in Yaoundé and Douala, between 2017 and 2018, as well as on a digital ethnographic survey conducted on Instagram, Facebook, Twitter and TikTok between 2021 and 2022. In such a hostile context to same-sex sexual practices, more and more voices are being publicly raised on social media to affirm their homosexuality and or trans identity (queerness). However, the costs of this visibility are considerable. Are social media able to influence perceptions, attitudes and policies towards sexual and gender minorities in Cameroon?MOTS-CLÉS: Internetespace publicqueerhomosexualitécitoyennetéréseaux sociauxCamerounKEYWORDS: Internetpublic spacequeerhomosexualitycitizenshipsocial networksCameroon DéclarationAucun conflit d’intérêt potentiel n’a été rapporté par l’auteure.FinancementCe travail a été soutenu par Sidaction (Financement Jeunes chercheurs 2016).Notes1 Shakiro et Patricia sont sorties de prison après six mois suite à une forte mobilisation internationale, y compris en ligne avec l’hashtag #FreeShakiro #FreePatricia.2 https://www.btb.termiumplus.gc.ca/publications/diversite-diversity-fra.html3 Cela va de soi. Certaines de ses expressions sont devenues des expressions communes comme “Pas les lolettes mama!,” ou encore “On ne donne pas le crédit dans le piment Mamaaa!” Le piment fait référence au rapport sexuel tarifé.4 Il faut bien sûr posséder un téléphone intelligent ou un ordinateur pour y avoir accès, et cela a un coût, tout comme pour accéder à un jardin public, il faut parfois emprunter un moyen de transport.5 Dans un contexte où les questions de sexualité et de mœurs sont de plus en plus médiatisées et controversées, nous souhaitions voir dans quelle(s) mesure(s) les rencontres sexuelles en ligne informaient sur les pratiques sexuelles des usagers dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA. Financée par Sidaction et initialement orientée vers les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), c’est la difficulté à obtenir un avis éthique et une Autorisation Administrative de Recherche du fait des publics ciblés (HSH) qui nous a contraint à étendre notre étude aux usagers d’internet de plus de 18 ans (âge de la responsabilité pénale), sexuellement actifs et résidant au Cameroun. Les résultats de cette étude ont ouvert des perspectives intéressantes sur les cultures numériques queer et leur dynamique.6 Luc Sindjoun, La biographie sociale du sexe, Bibliothèque du CODESRIA, Dakar, CODESRIA-Karthala, 2000; J. Wakam, “Relations de genre, structure démographique des ménages et scolarisation des jeunes filles au Cameroun,” African Population Studies 17, 2 (2002): 1–22; Emmanuel Tchagang, “Stéréotypes et identités de genre au Cameroun. Une validation de Bem Sex-Role Inventory (BSRI),” Les cahiers internationaux de psychologie sociale Numéro 109, 1 (2016): 25–48.7 Nous reconnaissons dans cet article que le sujet du genre n’est pas rigide et limité au sexe biologique. Certaines personnes s’identifient différemment sur le continuum homme–femme, voir même en dehors. Toutefois, dans le cadre de cet article, le genre sera considéré suivant trois dimensions, hommes, femmes ou trans.8 François Wafo, “Problématique d’une éducation à la sexualité en milieu scolaire dans les pays d’Afrique Subsaharienne: L’exemple du Cameroun” (Thèse en Sciences de l’Éducation, sous la direction de Dominique Berger, Université Blaise Pascal-Clermont-Ferrand II, 2012).9 Patrick Awondo, Le sexe et ses doubles : (Homo)sexualités en postcolonie (Lyon: ENS Éditions, 2020).10 Précisément avec la profonde crise économique qu’a traversé le pays dans les années 1990 et qui a conduit à dévaluer le FCFA, à dégraisser la fonction publique et à diviser parfois jusqu’à six les salaires des fonctionnaires.11 Charles Guéboguo, La question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun (Paris: L’Harmattan, 2006).12 Patrick Awondo, Peter Geschiere et Graeme Reid, “Une Afrique homophobe ?,” Raisons politiques, trad. Alexandre Jaunait, Amélie Le Renard et Élisabeth Marteu, 49, 1 (2013): 95–118.13 Patrick Awondo, “Homosexuality on the Continent: An Image of a Stagnant Africa Is not the Reality.” Africa-i.com. 15 mai 2014. http://africa-i.com/homosexuality-on-the-continent-an-image-of-a-stagnant-africa-is-not-the-reality-patrick-awondo-anthropologist/ (consulté le 26 mai 2014).14 Les prénoms sont fictifs pour protéger l’anonymat des répondant.es. Les entretiens en face en face ont été réalisés entre octobre 2017 et avril 2018, et par téléphone ou en Visio entre septembre et octobre 2022.15 Dans ce show qui ne compte qu’un seul épisode à ce jour, Loïc présente le personnage de Shakiro et se désole de subir autant de haine en tant qu’être humain.16 Les directs ou live sont des formats vidéo qui permettent à un.e utilisateur.ice d’échanger en temps réel avec d’autres internautes. Ces formats peuvent être ouverts à tout public ou restreints à certains membres.17 Du verbe “se genrer,” c'est-à-dire attribuer à quelqu'un un genre qui correspond à son identité (Le Petit Robert).18 Kongossa, terme local qui équivaut au commérage ou Gossip.19 L'occasion de préciser qu'en mars 2022, l'État a condamné, pour la première fois, un homme qui avait violemment agressé une femme trans dans la ville de Yaoundé. Les autres auteurs de l'agression n'ont pas été inquiétés. https://www.hrw.org/fr/news/2022/03/03/un-tribunal-au-cameroun-punit-lun-des-auteurs-de-violences-anti-lgbti.20 Entendu ici comme positionnement stratégique destiné à capter les ressources financières extérieures à des fins de promotion politique interne. L’extraversion n’est pas que subie, elle est inscrite dans l’historicité des sociétés africaines (Bayart Citation1999).21 Il existe cependant de rares exceptions. Le gouvernement a condamné en mars 2022 deux personnes pour violences volontaires. Sept mois auparavant, ces dernières avaient violemment violé et lynché une personne intersexe en l’accusant d’homosexualité. Conduite au commissariat en présence des agresseurs qui pensaient de bonne foi être dans leur bon droit, ces derniers seront interpellés et sanctionnés quatre mois plus tard. C’est la première fois que de tels actes sont condamnés au Cameroun.Additional informationNotes on contributorsLarissa KojouéLarissa Kojoué est docteure en science politique, diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux et de l’Université de Yaoundé 2-Soa/Cameroun. Chercheuse associée au CEPED Paris, conférencière, militante féministe queer et panafricaine, Larissa est passionnée par les droits humains, la justice sociale et la littérature africaine. Son expérience comprend la réalisation de plusieurs projets de recherche scientifique et communautaire, la publication d’une dizaine d’articles sur les questions de santé globale (VIH/sida, Covid19), de citoyenneté, de genre et de sexualité. Elle a également enseigné la sociologie politique à l’Université Lumière Lyon II et à l’Université de Buea. Parallèlement à son travail académique, elle est engagée dans un travail militant : construction de mouvements, mobilisation de ressources et coordination de projets communautaires ciblant spécifiquement les femmes et les minorités sexuelles en Afrique de l’Ouest et Centrale. Projet de recherche actuel : Queering the Internet. 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Abstract
RÉSUMÉCet article analyse la portée politique des différents usages des technologies numériques que les minorités sexuelles exploitent à des fins de visibilité au Cameroun. Il s’appuie sur une enquête de terrain menée à Yaoundé et à Douala, entre 2017 et 2018, ainsi que sur une veille ethnographique numérique réalisée sur Instagram, Facebook, Twitter et TikTok. Dans un contexte hostile aux pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, de plus en plus de voix s’élèvent sur les réseaux sociaux pour affirmer publiquement leur homosexualité et ou leur trans identité. Les coûts de cette visibilité sont pourtant considérables. Les réseaux sociaux sont-ils en mesure d’influencer les perceptions, les attitudes et les politiques vis-à-vis des minorités sexuelles et de genre au Cameroun?ABSTRACTThis article analyses the political significance of the diversity of digital practices that sexual minorities exploit for visibility in Cameroon. It is based on a field survey conducted in Yaoundé and Douala, between 2017 and 2018, as well as on a digital ethnographic survey conducted on Instagram, Facebook, Twitter and TikTok between 2021 and 2022. In such a hostile context to same-sex sexual practices, more and more voices are being publicly raised on social media to affirm their homosexuality and or trans identity (queerness). However, the costs of this visibility are considerable. Are social media able to influence perceptions, attitudes and policies towards sexual and gender minorities in Cameroon?MOTS-CLÉS: Internetespace publicqueerhomosexualitécitoyennetéréseaux sociauxCamerounKEYWORDS: Internetpublic spacequeerhomosexualitycitizenshipsocial networksCameroon DéclarationAucun conflit d’intérêt potentiel n’a été rapporté par l’auteure.FinancementCe travail a été soutenu par Sidaction (Financement Jeunes chercheurs 2016).Notes1 Shakiro et Patricia sont sorties de prison après six mois suite à une forte mobilisation internationale, y compris en ligne avec l’hashtag #FreeShakiro #FreePatricia.2 https://www.btb.termiumplus.gc.ca/publications/diversite-diversity-fra.html3 Cela va de soi. Certaines de ses expressions sont devenues des expressions communes comme “Pas les lolettes mama!,” ou encore “On ne donne pas le crédit dans le piment Mamaaa!” Le piment fait référence au rapport sexuel tarifé.4 Il faut bien sûr posséder un téléphone intelligent ou un ordinateur pour y avoir accès, et cela a un coût, tout comme pour accéder à un jardin public, il faut parfois emprunter un moyen de transport.5 Dans un contexte où les questions de sexualité et de mœurs sont de plus en plus médiatisées et controversées, nous souhaitions voir dans quelle(s) mesure(s) les rencontres sexuelles en ligne informaient sur les pratiques sexuelles des usagers dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA. Financée par Sidaction et initialement orientée vers les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), c’est la difficulté à obtenir un avis éthique et une Autorisation Administrative de Recherche du fait des publics ciblés (HSH) qui nous a contraint à étendre notre étude aux usagers d’internet de plus de 18 ans (âge de la responsabilité pénale), sexuellement actifs et résidant au Cameroun. Les résultats de cette étude ont ouvert des perspectives intéressantes sur les cultures numériques queer et leur dynamique.6 Luc Sindjoun, La biographie sociale du sexe, Bibliothèque du CODESRIA, Dakar, CODESRIA-Karthala, 2000; J. Wakam, “Relations de genre, structure démographique des ménages et scolarisation des jeunes filles au Cameroun,” African Population Studies 17, 2 (2002): 1–22; Emmanuel Tchagang, “Stéréotypes et identités de genre au Cameroun. Une validation de Bem Sex-Role Inventory (BSRI),” Les cahiers internationaux de psychologie sociale Numéro 109, 1 (2016): 25–48.7 Nous reconnaissons dans cet article que le sujet du genre n’est pas rigide et limité au sexe biologique. Certaines personnes s’identifient différemment sur le continuum homme–femme, voir même en dehors. Toutefois, dans le cadre de cet article, le genre sera considéré suivant trois dimensions, hommes, femmes ou trans.8 François Wafo, “Problématique d’une éducation à la sexualité en milieu scolaire dans les pays d’Afrique Subsaharienne: L’exemple du Cameroun” (Thèse en Sciences de l’Éducation, sous la direction de Dominique Berger, Université Blaise Pascal-Clermont-Ferrand II, 2012).9 Patrick Awondo, Le sexe et ses doubles : (Homo)sexualités en postcolonie (Lyon: ENS Éditions, 2020).10 Précisément avec la profonde crise économique qu’a traversé le pays dans les années 1990 et qui a conduit à dévaluer le FCFA, à dégraisser la fonction publique et à diviser parfois jusqu’à six les salaires des fonctionnaires.11 Charles Guéboguo, La question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun (Paris: L’Harmattan, 2006).12 Patrick Awondo, Peter Geschiere et Graeme Reid, “Une Afrique homophobe ?,” Raisons politiques, trad. Alexandre Jaunait, Amélie Le Renard et Élisabeth Marteu, 49, 1 (2013): 95–118.13 Patrick Awondo, “Homosexuality on the Continent: An Image of a Stagnant Africa Is not the Reality.” Africa-i.com. 15 mai 2014. http://africa-i.com/homosexuality-on-the-continent-an-image-of-a-stagnant-africa-is-not-the-reality-patrick-awondo-anthropologist/ (consulté le 26 mai 2014).14 Les prénoms sont fictifs pour protéger l’anonymat des répondant.es. Les entretiens en face en face ont été réalisés entre octobre 2017 et avril 2018, et par téléphone ou en Visio entre septembre et octobre 2022.15 Dans ce show qui ne compte qu’un seul épisode à ce jour, Loïc présente le personnage de Shakiro et se désole de subir autant de haine en tant qu’être humain.16 Les directs ou live sont des formats vidéo qui permettent à un.e utilisateur.ice d’échanger en temps réel avec d’autres internautes. Ces formats peuvent être ouverts à tout public ou restreints à certains membres.17 Du verbe “se genrer,” c'est-à-dire attribuer à quelqu'un un genre qui correspond à son identité (Le Petit Robert).18 Kongossa, terme local qui équivaut au commérage ou Gossip.19 L'occasion de préciser qu'en mars 2022, l'État a condamné, pour la première fois, un homme qui avait violemment agressé une femme trans dans la ville de Yaoundé. Les autres auteurs de l'agression n'ont pas été inquiétés. https://www.hrw.org/fr/news/2022/03/03/un-tribunal-au-cameroun-punit-lun-des-auteurs-de-violences-anti-lgbti.20 Entendu ici comme positionnement stratégique destiné à capter les ressources financières extérieures à des fins de promotion politique interne. L’extraversion n’est pas que subie, elle est inscrite dans l’historicité des sociétés africaines (Bayart Citation1999).21 Il existe cependant de rares exceptions. Le gouvernement a condamné en mars 2022 deux personnes pour violences volontaires. Sept mois auparavant, ces dernières avaient violemment violé et lynché une personne intersexe en l’accusant d’homosexualité. Conduite au commissariat en présence des agresseurs qui pensaient de bonne foi être dans leur bon droit, ces derniers seront interpellés et sanctionnés quatre mois plus tard. C’est la première fois que de tels actes sont condamnés au Cameroun.Additional informationNotes on contributorsLarissa KojouéLarissa Kojoué est docteure en science politique, diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux et de l’Université de Yaoundé 2-Soa/Cameroun. Chercheuse associée au CEPED Paris, conférencière, militante féministe queer et panafricaine, Larissa est passionnée par les droits humains, la justice sociale et la littérature africaine. Son expérience comprend la réalisation de plusieurs projets de recherche scientifique et communautaire, la publication d’une dizaine d’articles sur les questions de santé globale (VIH/sida, Covid19), de citoyenneté, de genre et de sexualité. Elle a également enseigné la sociologie politique à l’Université Lumière Lyon II et à l’Université de Buea. Parallèlement à son travail académique, elle est engagée dans un travail militant : construction de mouvements, mobilisation de ressources et coordination de projets communautaires ciblant spécifiquement les femmes et les minorités sexuelles en Afrique de l’Ouest et Centrale. Projet de recherche actuel : Queering the Internet. Political Perspectives from Francophone West and Central Africa.