{"title":"Loncomelos pyrenaicus ou asperges des bois : to eat or not to eat","authors":"C. Tournoud , S. Sinno-Tellier , S. Michel","doi":"10.1016/j.toxac.2024.08.037","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><h3>Objectif</h3><p>L’ornithogale des Pyrénées ou <em>Ornithogalum pyrenaicum</em> ou <em>Loncomelos pyrenaicus</em> (L.) Hrouda ou « asperge des bois » est une plante sauvage réputée comestible de la famille des <em>Asparagaceae</em>. Cependant, depuis plusieurs années les Centres antipoison et de toxico-vigilance (CAPTV) décrivent des cas de personnes symptomatiques après consommation de ces plantes. Pour caractériser ce signal, un partenariat a été réalisé entre le CHRU de Nancy (CAPTV pour le recueil des cas) et l’université Paris Cité (pour l’analyse des plantes) et a bénéficié du soutien financier de l’Anses dans le cadre d’une Convention de recherche et développement (2022-CRD-02).</p></div><div><h3>Méthode</h3><p>Étude descriptive des cas colligés par les CAPTV en 2022 et 2023. Développement de méthodes analytiques pour établir des profils de substances présentes dans la plante, en se basant sur des échantillons commerciaux. Comparaison des résultats analytiques de lots d’asperges des bois du commerce provenant de différentes régions avec ceux des plantes impliquées dans les cas rapportés aux CAPTV.</p></div><div><h3>Résultats</h3><p>Sur la période d’étude, 8 dossiers ou repas collectifs de 2 à 5 convives ont été colligés, correspondant à 20 personnes exposées dont 12 symptomatiques. Les cas étaient répartis dans le nord-est de la France et la région Nouvelle Aquitaine. Dans 6 dossiers, il s’agissait d’une cueillette personnelle ou par un tiers, et dans 2 dossiers d’un achat sur les marchés. Le temps de cuisson était compris entre 4 et 20<!--> <!-->minutes. Le sex-ratio des exposés était égal à 1, la moyenne d’âge à 54<!--> <!-->ans (âge médian 55<!--> <!-->ans). Aucune personne n’avait d’allergie alimentaire, 14 avaient mangé ces plantes les années précédentes sans complication sauf dans un cas. Le délai moyen de survenue de symptômes était de 3<!--> <!-->h. Les symptômes présentés par les personnes étaient essentiellement ORL, à type de dysphagie intense (8 cas), sensation d’œdème pharyngé (6 cas), douleur oropharyngée (4 cas), œdème buccal ou des lèvres (4 cas), dysphonie (2 cas), hypersialorrhéee (1 cas) ; plus rarement digestifs ou cutanés. 8 patients ont bénéficié d’une consultation médicale et ont reçu des antihistaminiques et 4 des corticoïdes. Un cas d’œdème de Quincke était observé ayant nécessité, en plus, une oxygénothérapie, des aérosols de terbutaline et d’adrénaline.</p><p>L’examen microscopique des plantes (trois échantillons du commerce et un échantillon de plantes associées à au moins un cas symptomatique) après lyophilisation a montré une très grande richesse en mucilages ainsi qu’en raphides d’oxalate de calcium. L’analyse phytochimique a été réalisée par plusieurs techniques chromatographiques : CCM (chromatographie sur couche mince), CLHP (chromatographie liquide à haute performance), CPG (chromatographie en phase gazeuse). Cette analyse a permis de mettre en évidence la présence de sucres, d’acides gras, ainsi qu’un composé tri-terpénique (β –sitostérol). L’établissement de profils métabolomiques par des méthodes couplées, CLHP/SM et CPG/MS, sont en faveur de la présence d’acides gras, de sucres, d’acides dicarboxyliques comme l’acide malique et oxalique. L’analyse des plantes associées aux cas montrait la même richesse en mucilages et raphides d’oxalate de calcium, un profil métabolomique similaire avec des proportions un peu différentes des constituants.</p></div><div><h3>Discussion</h3><p>À ce jour aucune publication ne fait état d’une toxicité de <em>Loncomelos pyrenaicus</em> chez l’homme. Chez l’animal, une toxicité a été décrite et imputée à la présence de phytohémaglutinines dans la plante <span><span>[1]</span></span>. La symptomatologie observée chez les patients est bien caractérisée : survenue différée par rapport au repas, symptomatologie essentiellement ORL, cas souvent collectifs (avec tout ou partie des convives d’un même repas symptomatiques). Si le nombre de cas dans notre étude est faible, basé sur des appels de particuliers ou professionnels de santé aux CAPTV, la sous-estimation de l’incidence réelle parait très probable y compris pour les patients qui auront consulté un médecin sans appeler un CAPTV : la réputation de comestibilité pourra facilement tromper le clinicien dans sa recherche étiologique et sa démarche diagnostique. La concentration importante de mucilage dans la plante pourrait expliquer la survenue différée d’une symptomatologie irritative causée par les raphides d’oxalate de calcium, les mucilages favorisant peut-être un contact prolongé des raphides avec la muqueuse pharyngée. La présence de raphides dans certaines familles de plantes comme les Araceae est bien connue pour entraîner des phénomènes irritatifs buccaux ou digestifs <span><span>[2]</span></span>. Plusieurs autres hypothèses ont été étudiées pour être au final rejetées : une confusion avec d’autres plantes infirmée par l’aspect caractéristique des plantes et leur identification formelle dans certains cas rapportés aux CAPTV, un mécanisme immunoallergique infirmé par la survenue fréquente de cas symptomatiques entre conjoints. La présence de toxines spécifiques dans les plantes associées aux cas a été infirmée par les analyses réalisées.</p></div><div><h3>Conclusion</h3><p>L’analyse des asperges des bois a permis de mettre en évidence la présence de raphides d’oxalate de calcium dans une forte quantité de mucilage expliquant en partie la symptomatologie présentée par les patients. Cependant plusieurs inconnues persistent devant conduire à continuer les recherches analytiques (tests biologiques d’inflammation, concentration en oxalate de calcium dans la plante…). La plus grande disponibilité de cette plante, notamment par vente, récente, sur les marchés, et dans certains supermarchés, devrait entraîner progressivement une augmentation du nombre de personnes symptomatiques, ce qui pose la question d’éventuelles recommandations ou mesures de gestion.</p></div>","PeriodicalId":23170,"journal":{"name":"Toxicologie Analytique et Clinique","volume":"36 3","pages":"Pages S91-S92"},"PeriodicalIF":1.8000,"publicationDate":"2024-09-10","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Toxicologie Analytique et Clinique","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352007824001987","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"TOXICOLOGY","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Objectif
L’ornithogale des Pyrénées ou Ornithogalum pyrenaicum ou Loncomelos pyrenaicus (L.) Hrouda ou « asperge des bois » est une plante sauvage réputée comestible de la famille des Asparagaceae. Cependant, depuis plusieurs années les Centres antipoison et de toxico-vigilance (CAPTV) décrivent des cas de personnes symptomatiques après consommation de ces plantes. Pour caractériser ce signal, un partenariat a été réalisé entre le CHRU de Nancy (CAPTV pour le recueil des cas) et l’université Paris Cité (pour l’analyse des plantes) et a bénéficié du soutien financier de l’Anses dans le cadre d’une Convention de recherche et développement (2022-CRD-02).
Méthode
Étude descriptive des cas colligés par les CAPTV en 2022 et 2023. Développement de méthodes analytiques pour établir des profils de substances présentes dans la plante, en se basant sur des échantillons commerciaux. Comparaison des résultats analytiques de lots d’asperges des bois du commerce provenant de différentes régions avec ceux des plantes impliquées dans les cas rapportés aux CAPTV.
Résultats
Sur la période d’étude, 8 dossiers ou repas collectifs de 2 à 5 convives ont été colligés, correspondant à 20 personnes exposées dont 12 symptomatiques. Les cas étaient répartis dans le nord-est de la France et la région Nouvelle Aquitaine. Dans 6 dossiers, il s’agissait d’une cueillette personnelle ou par un tiers, et dans 2 dossiers d’un achat sur les marchés. Le temps de cuisson était compris entre 4 et 20 minutes. Le sex-ratio des exposés était égal à 1, la moyenne d’âge à 54 ans (âge médian 55 ans). Aucune personne n’avait d’allergie alimentaire, 14 avaient mangé ces plantes les années précédentes sans complication sauf dans un cas. Le délai moyen de survenue de symptômes était de 3 h. Les symptômes présentés par les personnes étaient essentiellement ORL, à type de dysphagie intense (8 cas), sensation d’œdème pharyngé (6 cas), douleur oropharyngée (4 cas), œdème buccal ou des lèvres (4 cas), dysphonie (2 cas), hypersialorrhéee (1 cas) ; plus rarement digestifs ou cutanés. 8 patients ont bénéficié d’une consultation médicale et ont reçu des antihistaminiques et 4 des corticoïdes. Un cas d’œdème de Quincke était observé ayant nécessité, en plus, une oxygénothérapie, des aérosols de terbutaline et d’adrénaline.
L’examen microscopique des plantes (trois échantillons du commerce et un échantillon de plantes associées à au moins un cas symptomatique) après lyophilisation a montré une très grande richesse en mucilages ainsi qu’en raphides d’oxalate de calcium. L’analyse phytochimique a été réalisée par plusieurs techniques chromatographiques : CCM (chromatographie sur couche mince), CLHP (chromatographie liquide à haute performance), CPG (chromatographie en phase gazeuse). Cette analyse a permis de mettre en évidence la présence de sucres, d’acides gras, ainsi qu’un composé tri-terpénique (β –sitostérol). L’établissement de profils métabolomiques par des méthodes couplées, CLHP/SM et CPG/MS, sont en faveur de la présence d’acides gras, de sucres, d’acides dicarboxyliques comme l’acide malique et oxalique. L’analyse des plantes associées aux cas montrait la même richesse en mucilages et raphides d’oxalate de calcium, un profil métabolomique similaire avec des proportions un peu différentes des constituants.
Discussion
À ce jour aucune publication ne fait état d’une toxicité de Loncomelos pyrenaicus chez l’homme. Chez l’animal, une toxicité a été décrite et imputée à la présence de phytohémaglutinines dans la plante [1]. La symptomatologie observée chez les patients est bien caractérisée : survenue différée par rapport au repas, symptomatologie essentiellement ORL, cas souvent collectifs (avec tout ou partie des convives d’un même repas symptomatiques). Si le nombre de cas dans notre étude est faible, basé sur des appels de particuliers ou professionnels de santé aux CAPTV, la sous-estimation de l’incidence réelle parait très probable y compris pour les patients qui auront consulté un médecin sans appeler un CAPTV : la réputation de comestibilité pourra facilement tromper le clinicien dans sa recherche étiologique et sa démarche diagnostique. La concentration importante de mucilage dans la plante pourrait expliquer la survenue différée d’une symptomatologie irritative causée par les raphides d’oxalate de calcium, les mucilages favorisant peut-être un contact prolongé des raphides avec la muqueuse pharyngée. La présence de raphides dans certaines familles de plantes comme les Araceae est bien connue pour entraîner des phénomènes irritatifs buccaux ou digestifs [2]. Plusieurs autres hypothèses ont été étudiées pour être au final rejetées : une confusion avec d’autres plantes infirmée par l’aspect caractéristique des plantes et leur identification formelle dans certains cas rapportés aux CAPTV, un mécanisme immunoallergique infirmé par la survenue fréquente de cas symptomatiques entre conjoints. La présence de toxines spécifiques dans les plantes associées aux cas a été infirmée par les analyses réalisées.
Conclusion
L’analyse des asperges des bois a permis de mettre en évidence la présence de raphides d’oxalate de calcium dans une forte quantité de mucilage expliquant en partie la symptomatologie présentée par les patients. Cependant plusieurs inconnues persistent devant conduire à continuer les recherches analytiques (tests biologiques d’inflammation, concentration en oxalate de calcium dans la plante…). La plus grande disponibilité de cette plante, notamment par vente, récente, sur les marchés, et dans certains supermarchés, devrait entraîner progressivement une augmentation du nombre de personnes symptomatiques, ce qui pose la question d’éventuelles recommandations ou mesures de gestion.