{"title":"Intoxication volontaire sévère aux cardiotropes : l’ECMO n’est pas toujours la solution","authors":"A. Kimmoun","doi":"10.1016/j.toxac.2024.08.028","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"<div><h3>Objectif</h3><p>Discuter la prise en charge d’une intoxication aux cardiotropes.</p></div><div><h3>Historique du cas</h3><p>Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme de 17<!--> <!-->ans, 76<!--> <!-->kg, pris en charge dans le service des urgences d’un centre hospitalier général pour douleurs abdominales et vomissements itératifs incoercibles depuis 2<!--> <!-->jours. Il ne rapporte aucun événement particulier dans les jours précédents. À l’admission, il est hypotendu à 79/42<!--> <!-->mmHg avec une FC à 105/min. Sa conscience est normale. Il est apyrétique et sature à 100 % en air ambiant. L’examen physique retrouve un patient euvolémique, marbré aux genoux, avec un abdomen souple, dépressif mais sensible en région épigastrique. La biologie initiale met en évidence une insuffisance rénale aiguë avec une hyperkaliémie menaçante à 7,4 mmol/L, associée à des signes ECG (onde T pointue mais sans élargissement des QRS). Il existe également un syndrome inflammatoire biologique avec une hyperleucocytose à 17<!--> <!-->G/L sans élévation de la CRP. Le gaz du sang artériel révèle un pH à 7,3 et des lactates à 6,5 mmol/L. Il n’y a pas de cholestase ni de cytolyse, mais le TP est à 55 %. La prise en charge initiale se portera essentiellement sur une réhydratation et une perfusion de bicarbonate molaire. Il est transféré en réanimation pédiatrique et se dégrade hémodynamiquement durant le trajet avec l’instauration d’un traitement par noradrénaline jusqu’à 1,66<!--> <!-->γ/kg/min. Il devient extrêmement volodépendant avec 57<!--> <!-->mL/kg d’expansion volémique reçue en 4H. L’échographie cardiaque retrouve un cœur hyperkinétique avec un débit de 7,5<!--> <!-->L/min/m<sup>2</sup> mais étrangement non tachycarde. Après rediscussion avec ce jeune patient, il avoue la prise 36<!--> <!-->heures auparavant de 30 cp de 10<!--> <!-->mg/10<!--> <!-->mg d’amlodipine/perindopril, 16 cp de 500 mg de paracétamol, 14 cp de pantoprazole, 16 cp de 100<!--> <!-->mg de kétoprofène, 20 cp de 50<!--> <!-->mg de diclofénac sodique, 6 cp de « FERVEX » (paracétamol 500<!--> <!-->mg, phéniramine 35<!--> <!-->mg, vitamine C 200<!--> <!-->mg), 15 cp de 50<!--> <!-->mg/1000<!--> <!-->mg de sitagliptine et metformine, et 15 cp de 5<!--> <!-->mg de desloratadine. Devant la majoration de la noradrénaline jusqu’à 7<!--> <!-->γ/kg/min et malgré l’adjonction de vasopressine à 0,02 UI/min et de calcium IVSE à 0,002<!--> <!-->g/kg/h, il est décidé de l’implanter en ECMO-VA FF G. Sous assistance circulatoire jusqu’à 4 L/min, le patient reste très dépendant des vasopresseurs avec 0,03 UI/min de vasopressine et noradrénaline à 3,3<!--> <!-->γ/kg/min. Il est mis sous CVVHF pour une insuffisance rénale aiguë KDIGO 3 et une intoxication à la metformine, et sous N-acétylcystéine pour l’intoxication au paracétamol. Son évolution est favorable avec un sevrage des vasopresseurs en 48H suivi d’une ablation de l’assistance. La fonction rénale se rétablit dans le même temps, permettant le sevrage de l’épuration extrarénale. Le patient sort à J3 de réanimation.</p></div><div><h3>Discussion</h3><p>Il s’agit ici d’un cas typique de poly-intoxication médicamenteuse volontaire avec comme principal toxique hémodynamique l’amlodipine. Ce dernier est un inhibiteur calcique de type dihydropyridinique avec une très longue demi-vie de 30 à 58H et un large volume de distribution de l’ordre de 21<!--> <!-->L/kg. Sa toxicité apparaît typiquement dans les premières heures suivant l’ingestion. On notera ici le caractère atypique du délai, mais il s’agit d’un jeune patient. La mortalité de l’intoxication à l’amlodipine est autour de 30 % lorsque le patient est admis en réanimation. Dans le cas présent, la prise en charge n’est pas adaptée. En effet, le patient ne reçoit pas assez de calcium (dose recommandée de 0,02–0,04<!--> <!-->g/kg/h) et surtout d’insulinothérapie euglycémique (1 UI/kg en bolus suivi de 1 UI/kg/h en maintenant la glycémie par du G30 %) qui est un pilier de la prise en charge de ce type d’intoxication aux inhibiteurs calciques. L’hypo-insulinisme est en effet un facteur majeur de la dysfonction des cellules musculaires, en rappelant qu’en situation de stress le métabolisme des cellules musculaires passe de l’oxydation des acides gras au glucose voire au lactate. Avec un débit cardiaque indexé à 7,5 L/min/m<sup>2</sup>, il n’y a dans le cas présenté aucune place pour une ECMO-VA dont le débit maximum chez l’adulte n’est que de 6 L/min avec les canules dont les diamètres sont les plus importants (29F veineux/19Fr artériel). À l’inverse, il faut insister sur l’optimisation du traitement vasopresseur en associant les α1/β1 agonistes comme la noradrénaline à la vasopressine (0,03<!--> <!-->UI/min jusqu’à 0,05<!--> <!-->UI/min pour certains auteurs) ou même au bleu de méthylène (2<!--> <!-->mg/kg en bolus suivi de 0,5 à 1<!--> <!-->mg/kg/h) dans les cas les plus extrêmes. Les émulsions lipidiques peuvent aussi être administrées (1,5<!--> <!-->mL/kg d’intralipide à 20 % pouvant être répétés deux fois et suivi d’une IVSE à 0,25 mL/kg/min). Dans la prise en charge de ce type de patient, l’omniprésence du plan hémodynamique ne doit pas faire oublier la prise en charge des co-intoxications et en particulier la metformine et le paracétamol qui nécessitent des traitements spécifiques.</p></div><div><h3>Conclusion</h3><p>Il n’y a aucune indication à la pose d’une ECMO-VA dans le cadre d’une intoxication à l’amlodipine dont le tableau hémodynamique est celui d’un choc distributif avec fonction cardiaque préservée. La prise en charge repose sur les piliers du traitement médical que sont l’expansion volémique, les vasopresseurs, la perfusion de calcium, l’insulinothérapie euglycémique et les émulsions lipidiques.</p></div>","PeriodicalId":23170,"journal":{"name":"Toxicologie Analytique et Clinique","volume":"36 3","pages":"Pages S85-S86"},"PeriodicalIF":1.8000,"publicationDate":"2024-09-10","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":"0","resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":null,"PeriodicalName":"Toxicologie Analytique et Clinique","FirstCategoryId":"1085","ListUrlMain":"https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352007824001896","RegionNum":0,"RegionCategory":null,"ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":null,"EPubDate":"","PubModel":"","JCR":"Q4","JCRName":"TOXICOLOGY","Score":null,"Total":0}
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Abstract
Objectif
Discuter la prise en charge d’une intoxication aux cardiotropes.
Historique du cas
Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme de 17 ans, 76 kg, pris en charge dans le service des urgences d’un centre hospitalier général pour douleurs abdominales et vomissements itératifs incoercibles depuis 2 jours. Il ne rapporte aucun événement particulier dans les jours précédents. À l’admission, il est hypotendu à 79/42 mmHg avec une FC à 105/min. Sa conscience est normale. Il est apyrétique et sature à 100 % en air ambiant. L’examen physique retrouve un patient euvolémique, marbré aux genoux, avec un abdomen souple, dépressif mais sensible en région épigastrique. La biologie initiale met en évidence une insuffisance rénale aiguë avec une hyperkaliémie menaçante à 7,4 mmol/L, associée à des signes ECG (onde T pointue mais sans élargissement des QRS). Il existe également un syndrome inflammatoire biologique avec une hyperleucocytose à 17 G/L sans élévation de la CRP. Le gaz du sang artériel révèle un pH à 7,3 et des lactates à 6,5 mmol/L. Il n’y a pas de cholestase ni de cytolyse, mais le TP est à 55 %. La prise en charge initiale se portera essentiellement sur une réhydratation et une perfusion de bicarbonate molaire. Il est transféré en réanimation pédiatrique et se dégrade hémodynamiquement durant le trajet avec l’instauration d’un traitement par noradrénaline jusqu’à 1,66 γ/kg/min. Il devient extrêmement volodépendant avec 57 mL/kg d’expansion volémique reçue en 4H. L’échographie cardiaque retrouve un cœur hyperkinétique avec un débit de 7,5 L/min/m2 mais étrangement non tachycarde. Après rediscussion avec ce jeune patient, il avoue la prise 36 heures auparavant de 30 cp de 10 mg/10 mg d’amlodipine/perindopril, 16 cp de 500 mg de paracétamol, 14 cp de pantoprazole, 16 cp de 100 mg de kétoprofène, 20 cp de 50 mg de diclofénac sodique, 6 cp de « FERVEX » (paracétamol 500 mg, phéniramine 35 mg, vitamine C 200 mg), 15 cp de 50 mg/1000 mg de sitagliptine et metformine, et 15 cp de 5 mg de desloratadine. Devant la majoration de la noradrénaline jusqu’à 7 γ/kg/min et malgré l’adjonction de vasopressine à 0,02 UI/min et de calcium IVSE à 0,002 g/kg/h, il est décidé de l’implanter en ECMO-VA FF G. Sous assistance circulatoire jusqu’à 4 L/min, le patient reste très dépendant des vasopresseurs avec 0,03 UI/min de vasopressine et noradrénaline à 3,3 γ/kg/min. Il est mis sous CVVHF pour une insuffisance rénale aiguë KDIGO 3 et une intoxication à la metformine, et sous N-acétylcystéine pour l’intoxication au paracétamol. Son évolution est favorable avec un sevrage des vasopresseurs en 48H suivi d’une ablation de l’assistance. La fonction rénale se rétablit dans le même temps, permettant le sevrage de l’épuration extrarénale. Le patient sort à J3 de réanimation.
Discussion
Il s’agit ici d’un cas typique de poly-intoxication médicamenteuse volontaire avec comme principal toxique hémodynamique l’amlodipine. Ce dernier est un inhibiteur calcique de type dihydropyridinique avec une très longue demi-vie de 30 à 58H et un large volume de distribution de l’ordre de 21 L/kg. Sa toxicité apparaît typiquement dans les premières heures suivant l’ingestion. On notera ici le caractère atypique du délai, mais il s’agit d’un jeune patient. La mortalité de l’intoxication à l’amlodipine est autour de 30 % lorsque le patient est admis en réanimation. Dans le cas présent, la prise en charge n’est pas adaptée. En effet, le patient ne reçoit pas assez de calcium (dose recommandée de 0,02–0,04 g/kg/h) et surtout d’insulinothérapie euglycémique (1 UI/kg en bolus suivi de 1 UI/kg/h en maintenant la glycémie par du G30 %) qui est un pilier de la prise en charge de ce type d’intoxication aux inhibiteurs calciques. L’hypo-insulinisme est en effet un facteur majeur de la dysfonction des cellules musculaires, en rappelant qu’en situation de stress le métabolisme des cellules musculaires passe de l’oxydation des acides gras au glucose voire au lactate. Avec un débit cardiaque indexé à 7,5 L/min/m2, il n’y a dans le cas présenté aucune place pour une ECMO-VA dont le débit maximum chez l’adulte n’est que de 6 L/min avec les canules dont les diamètres sont les plus importants (29F veineux/19Fr artériel). À l’inverse, il faut insister sur l’optimisation du traitement vasopresseur en associant les α1/β1 agonistes comme la noradrénaline à la vasopressine (0,03 UI/min jusqu’à 0,05 UI/min pour certains auteurs) ou même au bleu de méthylène (2 mg/kg en bolus suivi de 0,5 à 1 mg/kg/h) dans les cas les plus extrêmes. Les émulsions lipidiques peuvent aussi être administrées (1,5 mL/kg d’intralipide à 20 % pouvant être répétés deux fois et suivi d’une IVSE à 0,25 mL/kg/min). Dans la prise en charge de ce type de patient, l’omniprésence du plan hémodynamique ne doit pas faire oublier la prise en charge des co-intoxications et en particulier la metformine et le paracétamol qui nécessitent des traitements spécifiques.
Conclusion
Il n’y a aucune indication à la pose d’une ECMO-VA dans le cadre d’une intoxication à l’amlodipine dont le tableau hémodynamique est celui d’un choc distributif avec fonction cardiaque préservée. La prise en charge repose sur les piliers du traitement médical que sont l’expansion volémique, les vasopresseurs, la perfusion de calcium, l’insulinothérapie euglycémique et les émulsions lipidiques.