La libéralisation de la filière cacaoyère ivoirienne et les recompositions du marché mondial du cacao : vers la fin des "pays producteurs" et du marché international ?
{"title":"La libéralisation de la filière cacaoyère ivoirienne et les recompositions du marché mondial du cacao : vers la fin des \"pays producteurs\" et du marché international ?","authors":"B. Losch","doi":"10.1051/OCL.2001.0566","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"La Cote d’Ivoire occupe une place privilegiee dans le monde du cacao puisqu’elle a conquis le premier rang mondial sur le Ghana en 1977. Ce leadership s’est surtout accompagne d’une croissance exceptionnelle de la production qui atteint entre 40 et 45 % de l’offre mondiale depuis le milieu de la decennie 90 (de l’ordre de 1,2 million de tonnes) et presque 50 % des echanges. Cette situation assez exceptionnelle parmi les marches des soft commodities explique que la Cote d’Ivoire soit l’objet d’une grande attention de la part des differents acteurs du marche. Ainsi le processus de liberalisation de la filiere cacao au cours des annees 90 et le demantelement de la toute puissante caisse de stabilisation (la CSSPPA, appelee couramment la « Caisse » ou « Caistab ») en 1999, tout comme la volonte du gouvernement ivoirien de remettre en place aujourd’hui (juillet 2001) un mecanisme de stabilisation sont a l’origine d’abondants commentaires de la presse specialisee et d’autant de reactions des differents protagonistes du monde du cacao. Ces changements ont eu en effet, ou auront, d’importantes consequences sur les conditions d’ecoulement de la production, sur les conditions de l’acces a l’offre ivoirienne ainsi que sur la dynamique du marche international et l’evolution des prix. Simultanement, la place et le poids du secteur cacaoyer dans l’economie politique ivoirienne (a la fois dans les grands agregats economiques et dans les positions de pouvoir des interets prives locaux) en ont fait un enjeu central des recompositions economiques et politiques de la derniere decennie. La grave crise politique de l’annee 2000, qui a fait suite au premier coup d’Etat de l’histoire du pays (decembre 1999), n’est pas sans liens avec la liberalisation imposee de l’exterieur par les bailleurs de fonds multilateraux [1, 2]. Et l’evolution de la filiere cacao reste aujourd’hui un point central des negociations entre le gouvernement et les agences d’aide. Cette liberalisation de la filiere ivoirienne, qui correspond a un ajustement tardif aux nouvelles modalites de fonctionnement de l’economie mondiale, s’est accompagnee d’une perte progressive de controle des acteurs publics et prives locaux et d’une perte d’influence sur le marche. Cette evolution est en apparence paradoxale du fait de la place occupee par le pays dans l’offre mondiale, mais aussi a cause de l’evolution structurelle de la filiere qui a ete caracterisee par le developpement rapide des capacites industrielles de broyage (presque triplees depuis 1995). Avec un potentiel de 300 000 tonnes (et bientot 350 000), la Cote d’Ivoire est en effet devenue le principal « broyeur a l’origine » du marche, c’est-a-dire un pays producteur assurant une premiere transformation de ses feves alors que la plupart des autres pays ont du limiter leurs ambitions industrielles du fait des handicaps du broyage sur les lieux de production. Ces differents phenomenes emboites - croissance de l’offre, croissance des broyages, liberalisation - ont bien evidemment fortement influence la physionomie de la filiere : arrivee de nouveaux agents, developpement de nouvelles fonctions, apparition de nouveaux modes de coordination. La comprehension de ces changements, en regard des evolutions globales du marche et de ses acteurs, necessite d’adopter une lecture historique permettant de replacer dans leur contexte les strategies mises en œuvre par les differents agents publics et prives, nationaux, etrangers et internationaux; elle necessite aussi de mobiliser des registres explicatifs qui relevent aussi bien des enjeux internes propres a la Cote d’Ivoire que de ceux du marche mondial du cacao. Notre propos s’articulera en trois points. Nous rappellerons tout d’abord les conditions du developpement de la filiere ivoirienne, les raisons de sa forte croissance et les limites de son pouvoir de marche. Nous nous attacherons ensuite a l’analyse des strategies mises en œuvre par les firmes nationales et etrangeres a l’occasion de la liberalisation et plus particulierement aux motifs et aux modalites des alliances nouees entre les differents types d’operateurs, notamment en ce qui concerne le broyage. 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Abstract
La Cote d’Ivoire occupe une place privilegiee dans le monde du cacao puisqu’elle a conquis le premier rang mondial sur le Ghana en 1977. Ce leadership s’est surtout accompagne d’une croissance exceptionnelle de la production qui atteint entre 40 et 45 % de l’offre mondiale depuis le milieu de la decennie 90 (de l’ordre de 1,2 million de tonnes) et presque 50 % des echanges. Cette situation assez exceptionnelle parmi les marches des soft commodities explique que la Cote d’Ivoire soit l’objet d’une grande attention de la part des differents acteurs du marche. Ainsi le processus de liberalisation de la filiere cacao au cours des annees 90 et le demantelement de la toute puissante caisse de stabilisation (la CSSPPA, appelee couramment la « Caisse » ou « Caistab ») en 1999, tout comme la volonte du gouvernement ivoirien de remettre en place aujourd’hui (juillet 2001) un mecanisme de stabilisation sont a l’origine d’abondants commentaires de la presse specialisee et d’autant de reactions des differents protagonistes du monde du cacao. Ces changements ont eu en effet, ou auront, d’importantes consequences sur les conditions d’ecoulement de la production, sur les conditions de l’acces a l’offre ivoirienne ainsi que sur la dynamique du marche international et l’evolution des prix. Simultanement, la place et le poids du secteur cacaoyer dans l’economie politique ivoirienne (a la fois dans les grands agregats economiques et dans les positions de pouvoir des interets prives locaux) en ont fait un enjeu central des recompositions economiques et politiques de la derniere decennie. La grave crise politique de l’annee 2000, qui a fait suite au premier coup d’Etat de l’histoire du pays (decembre 1999), n’est pas sans liens avec la liberalisation imposee de l’exterieur par les bailleurs de fonds multilateraux [1, 2]. Et l’evolution de la filiere cacao reste aujourd’hui un point central des negociations entre le gouvernement et les agences d’aide. Cette liberalisation de la filiere ivoirienne, qui correspond a un ajustement tardif aux nouvelles modalites de fonctionnement de l’economie mondiale, s’est accompagnee d’une perte progressive de controle des acteurs publics et prives locaux et d’une perte d’influence sur le marche. Cette evolution est en apparence paradoxale du fait de la place occupee par le pays dans l’offre mondiale, mais aussi a cause de l’evolution structurelle de la filiere qui a ete caracterisee par le developpement rapide des capacites industrielles de broyage (presque triplees depuis 1995). Avec un potentiel de 300 000 tonnes (et bientot 350 000), la Cote d’Ivoire est en effet devenue le principal « broyeur a l’origine » du marche, c’est-a-dire un pays producteur assurant une premiere transformation de ses feves alors que la plupart des autres pays ont du limiter leurs ambitions industrielles du fait des handicaps du broyage sur les lieux de production. Ces differents phenomenes emboites - croissance de l’offre, croissance des broyages, liberalisation - ont bien evidemment fortement influence la physionomie de la filiere : arrivee de nouveaux agents, developpement de nouvelles fonctions, apparition de nouveaux modes de coordination. La comprehension de ces changements, en regard des evolutions globales du marche et de ses acteurs, necessite d’adopter une lecture historique permettant de replacer dans leur contexte les strategies mises en œuvre par les differents agents publics et prives, nationaux, etrangers et internationaux; elle necessite aussi de mobiliser des registres explicatifs qui relevent aussi bien des enjeux internes propres a la Cote d’Ivoire que de ceux du marche mondial du cacao. Notre propos s’articulera en trois points. Nous rappellerons tout d’abord les conditions du developpement de la filiere ivoirienne, les raisons de sa forte croissance et les limites de son pouvoir de marche. Nous nous attacherons ensuite a l’analyse des strategies mises en œuvre par les firmes nationales et etrangeres a l’occasion de la liberalisation et plus particulierement aux motifs et aux modalites des alliances nouees entre les differents types d’operateurs, notamment en ce qui concerne le broyage. Nous examinerons enfin les nouvelles caracteristiques de la coordination entre les differents agents de la filiere et leurs consequences sur les conditions de l’approvisionnement en quantite et en qualite.