{"title":"弗农·沙利文(Vernon Sullivan)的《我们将杀死所有可怕的人》(1948年)中的黑色文学和电影,鲍里斯·维安(Boris Vian)的《另一个黑人》,或是对好莱坞美的质疑","authors":"A. Cortijo","doi":"10.6018/analesff.26.1.352531","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"In this article we propose the study of a curious process of generic combination, noir genre and dystopian science fiction, and an intermediate phenomenon of literature and cinema through the analysis of Boris Vian’s pastiches under the pseudonym Vernon Sullivan. We focus, in particular, on a Hollywoodian subgenre of criticism of seriality and artificial perfection. For this we expose an original approach to the novel Et on tuera tous les affreux (1948) in relation to three North American films cataloged as neo-noir –two of them adaptations of novels by Ellroy– in order to study the representation of the femme fatale in a hypermasculinized context from an aesthetic, stylistic and sociological point of view. Key-words Boris Vian, Vernon Sullivan, film noir, vamp. Resumen En este artículo proponemos el estudio de un curioso proceso de combinación genérica, de género negro y ciencia ficción distópica, y un fenómeno intermediático de literatura y cine a través del análisis de los pastiches de Boris Vian bajo el seudónimo de Vernon Sullivan. Nos centramos, en concreto, en un subgénero Hollywoodiense de crítica a la serialidad y la perfección artificial. Para ello exponemos un acercamiento original a la novela Et on tuera tous les affreux (1948) en relación con tres films norteamericanos catalogados como neonoir, –dos de ellos adaptaciones de novelas de Ellroy– con el objeto de estudiar la representación de la femme fatale en un contexto hipermasculinizado desde un punto de vista estético, estilístico y sociológico. Palabras clave Boris Vian, Vernon Sullivan, film noir, femme fatale. Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 352 1. Le sacrifice cérémonial des affreux. Genèse d’un roman hybride Boris Vian fut introduit très tôt dans la Série noire, la collection de Gallimard créée en septembre 1945 par son ami Marcel Duhamel. Tout seul ou en collaboration avec sa première épouse, Michèle Léglise, il traduisit des romans de Chandler: La dame du lac (1952) et Le grand sommeil, et de Peter Cheyney, Les femmes s’en balancent (1949)1. Mais il passa vite de la traduction créative à l’invention parodique et hyperbolique en faisant usage des combinaisons de franslang et d’amerargot. Il publia quatre romans et une nouvelle, entre 1946 et 1950, dans les éditions du Scorpion de Jean d’Halluin2: J’Irai cracher sur vos tombes (1946), Les morts ont tous la même peau (1947), roman suivi de la nouvelle “Les chiens, le désir et la mort” (1947), Et on tuera tous les affreux (1948) et Elles se rendent pas compte (1950). Il écrivit ces pastiches du noir avec tous les ingrédients propres du genre et des touches surréalistes vianiennes masqué sous un pseudonyme. Il prétendait avoir traduit de l’anglais américain les romans de Vernon Sullivan3, dont il était le véritable auteur. Or ce Sullivan, romancier afro-américain –son alter negro comme disait Michel Rybalka– supposait un véritable black mask4. Sans vouloir m’attarder ici sur la légende noire et le scandale du premier Vernon Sullivan5, je voudrais mettre en exergue le troisième roman: Et on tuera tous les affreux (1948) qui commença à être publié en feuilleton dans France dimanche –ce qui expliquerait sa structure en trente chapitres qui finissaient parfois en points suspensifs– et dont la publication fut interrompue à cause des protestes des lecteurs, pour attenter contre les bonnes mœurs et qui fut finalement remanié et publié dans les éditions du Scorpion. Ce texte constitua un changement 1 Ensemble ils ont traduit le no 8 de la SN, La dame du lac (1952) –The Lady in the Lake (1939)– de Raymond Chandler et le no 22 SN, Les femmes s’en balancent (1949) –Dames Don’t Care (1937)– de Peter Cheyney. Boris Vian a traduit pour la Série Noire le no 13, Le grand sommeil (1948) –The Big Sleep (1939)– de Raymond Chandler. Et Michelle Vian le no 645, Il fait ce qu’il peut (1961) –Why Pick on Me ? (1951)– de J. H. Chase. 2 “[...] Billetdoux nous raconte que Vian avait eu vers juillet 1946 une conversation avec son ami Jean d’Halluin qui, pour ses Éditions du Scorpion, cherchait un thriller anglo-saxon à traduire pour contrebalancer le triomphe commercial de la NRF dans sa Série noire avec Pas d’orchidées pour Miss Blandish de J. H. Chase. Vian avait alors gagé qu’il écrirait en quinze jours un modèle du genre, susceptible de passer pour une de ces traductions dont le style lui était si familier. Pris le mot, il tint son pari en août avec une incroyable facilité” (Baudin, 1966: 15). 3 Il choisit Vernon comme le saxo tenor de bebop Vernon Story, qu’il louait dans ses Chroniques de Jazz, et en hommage aussi de son ami Paul Vernon, musicien de l’orchestre amateur Claude Abadie. Et Sullivan à cause, peut-être, de Pat Sullivan, le créateur de Félix the Cat et, en toute déférence, au pianiste de jazz Joe Sullivan. 4 Le film noir des années trente et quarante est né aux États-Unis et il a surgi des scénarios écrits par les grands maîtres du roman noir, du hard-boiled: Dashiell Hammet, Raymond Chandler, Horace Mccoy, James M. Cain, Raoul Whittfield, Norbert Davis, Frederick Nebel ou William Irish... qui publiaient leurs récits courts dans des revues pulp comme Black Mask. Revue emblématique où tous ces auteurs publiaient des nouvelles avec un style très cinématographique, avec une structure de montage et une idée de narrative visuelle avec une succession de plans. (Simsolo, 2007: 23-25). 5 Le 7 février 1947, le Cartel d’action sociale et morale, dirigé par Daniel Parker –déjà obsédé avec Henry Miller– dénonça le traducteur et l’éditeur du roman J’Irai cracher sur vos tombes pour attentat contre les mœurs. Le scandale fit augmenter les ventes et la popularité de Vian, malgré lui. Le procès est suivi en détail par Noël Arnaud dans son Dossier sur l’affaire J’Irai cracher sur vos tombes (1974). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Adela Cortijo Talavera 353 radical de ton, d’esprit et de matière par rapport aux deux premiers romans signés Vernon Sullivan. Tandis que son premier roman noir, J’Irai cracher sur vos tombes (1946), continue à être bien vendu, Boris Vian veut continuer à exploiter le filon pseudo-américain, et il endosse cette fois-ci la personnalité d’un reporter de quotidien américain pour ce nouveau thriller. Ce roman pouvait être considéré comme le plus vianien des Sullivan. L’auteur manifeste avoir voulu “emmerder” le solliciteur imprudent de France dimanche. (Rybalka, 1984: 232). En effet, son récit est considéré par l’hebdomadaire trop audacieux pour le public moyen et le salut moral des familles et il est contraint d’expurger des passages. La publication sera interrompue après deux mois, février-avril, sous la pression des lecteurs indignés et il reprendra avec plus de liberté la rédaction de son roman où il mélange le noir avec la science-fiction en s’abandonnant librement à son insu. Une fois épuisée la problématique de la ségrégation raciale et la figuration du genre avec ces héros noirs cachés sous une peau blanche6, Boris Vian changea de registre et introduisit de l’humour et de l’absurde dans ce beau monstre de nature qui combinait le noir avec le genre d’espionnage et l’anticipation dystopique. Vian les fusionnait à son gré et, grâce à cet omnigenre, il actualisait les stéréotypes et truismes du hard boiled. Comme il a fait aussi avec sa Série Blême (1952), polar théâtral en vers alexandrins d’où il tirait son Petit traité du parfait assassin, il a créé un roman canular, parodique, futuriste et perturbateur et il a placé l’intrigue, féru de cinéma, dans le berceau des mouvizes et des stars étincelantes du cinéma. En montrant les coulisses de Los Angeles, il se moquait ouvertement de la devise olympienne fortius, altius, citius7 et il anticipait, à la fin des années quarante, l’esclavage actuel du gymnase, des diètes et de la chirurgie esthétique. Boris Vian présentait, à ce fin, un savant fou, le docteur Markus Schutz, poursuivi par le FBI parce qu’il réalisait des expérimentations génétiques clandestines afin d’améliorer et d’embellir la race humaine et de créer, en Californie, des séries de spécimens parfaits. Opérant in vivo et in vitro sur des pin-up girls et des géniteurs herculéens choisis, Schutz manipulait et mûrissait des embryons, triomphait dans le clonage sélectif et fabriquait une race d’Apollons et de Vénus qui prendraient bientôt le pouvoir impérial absolu aux ÉtatsUnis. Le but explicite de ce méchant aux yeux gris et glacials, maître d’eugénisme, était de finir avec la laideur dans ce monde parce qu’elle lui était insupportable. Cette entreprise projetait la menace de la construction d’une élite sociale artificielle et d’un système de gouvernement pseudo-scientifique. 6 Les protagonistes des deux premiers romans signés Vernon Sullivan sont des noirs qui ont des peaux blanches, des métis “transfuges” et qui cachent, donc, leur race et leur identité. Métaphore facile et limpide d’un univers manichéen. 7 Vid. “‘Fortius altius citius’: la visión autobiográfica e insular de dos patafísicos: Georges Perec y Boris Vian” (Cortijo, 2004). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 354 –Qui vous a donné de faire des êtres vivants? Demande Mike. –Les gens sont tous très laids, dit Schutz. Avez-vous remarqué qu’on ne peut pas se promener dans la rue sans voir des quantités des gens laids? Eh bien, j’adore me promener dans la rue, mais j’ai horreur du laid. Aussi je me suis construit une rue et j’ai fabriqué des jolis passants... C’est ce qu’il y avait de plus simple. J’ai gagné beaucoup d’argent en soignant des milliardaires pleins d’ulcères à l’estomac... Mais j’en ai assez... Ça m’a suffi... Chez moi un slogan: On tuera tous les affreux... C’est amusant, n’est pas? (Vian, 1997: 995). 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Para ello exponemos un acercamiento original a la novela Et on tuera tous les affreux (1948) en relación con tres films norteamericanos catalogados como neonoir, –dos de ellos adaptaciones de novelas de Ellroy– con el objeto de estudiar la representación de la femme fatale en un contexto hipermasculinizado desde un punto de vista estético, estilístico y sociológico. Palabras clave Boris Vian, Vernon Sullivan, film noir, femme fatale. Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 352 1. Le sacrifice cérémonial des affreux. Genèse d’un roman hybride Boris Vian fut introduit très tôt dans la Série noire, la collection de Gallimard créée en septembre 1945 par son ami Marcel Duhamel. Tout seul ou en collaboration avec sa première épouse, Michèle Léglise, il traduisit des romans de Chandler: La dame du lac (1952) et Le grand sommeil, et de Peter Cheyney, Les femmes s’en balancent (1949)1. Mais il passa vite de la traduction créative à l’invention parodique et hyperbolique en faisant usage des combinaisons de franslang et d’amerargot. Il publia quatre romans et une nouvelle, entre 1946 et 1950, dans les éditions du Scorpion de Jean d’Halluin2: J’Irai cracher sur vos tombes (1946), Les morts ont tous la même peau (1947), roman suivi de la nouvelle “Les chiens, le désir et la mort” (1947), Et on tuera tous les affreux (1948) et Elles se rendent pas compte (1950). Il écrivit ces pastiches du noir avec tous les ingrédients propres du genre et des touches surréalistes vianiennes masqué sous un pseudonyme. Il prétendait avoir traduit de l’anglais américain les romans de Vernon Sullivan3, dont il était le véritable auteur. Or ce Sullivan, romancier afro-américain –son alter negro comme disait Michel Rybalka– supposait un véritable black mask4. Sans vouloir m’attarder ici sur la légende noire et le scandale du premier Vernon Sullivan5, je voudrais mettre en exergue le troisième roman: Et on tuera tous les affreux (1948) qui commença à être publié en feuilleton dans France dimanche –ce qui expliquerait sa structure en trente chapitres qui finissaient parfois en points suspensifs– et dont la publication fut interrompue à cause des protestes des lecteurs, pour attenter contre les bonnes mœurs et qui fut finalement remanié et publié dans les éditions du Scorpion. Ce texte constitua un changement 1 Ensemble ils ont traduit le no 8 de la SN, La dame du lac (1952) –The Lady in the Lake (1939)– de Raymond Chandler et le no 22 SN, Les femmes s’en balancent (1949) –Dames Don’t Care (1937)– de Peter Cheyney. Boris Vian a traduit pour la Série Noire le no 13, Le grand sommeil (1948) –The Big Sleep (1939)– de Raymond Chandler. Et Michelle Vian le no 645, Il fait ce qu’il peut (1961) –Why Pick on Me ? (1951)– de J. H. Chase. 2 “[...] Billetdoux nous raconte que Vian avait eu vers juillet 1946 une conversation avec son ami Jean d’Halluin qui, pour ses Éditions du Scorpion, cherchait un thriller anglo-saxon à traduire pour contrebalancer le triomphe commercial de la NRF dans sa Série noire avec Pas d’orchidées pour Miss Blandish de J. H. Chase. Vian avait alors gagé qu’il écrirait en quinze jours un modèle du genre, susceptible de passer pour une de ces traductions dont le style lui était si familier. Pris le mot, il tint son pari en août avec une incroyable facilité” (Baudin, 1966: 15). 3 Il choisit Vernon comme le saxo tenor de bebop Vernon Story, qu’il louait dans ses Chroniques de Jazz, et en hommage aussi de son ami Paul Vernon, musicien de l’orchestre amateur Claude Abadie. Et Sullivan à cause, peut-être, de Pat Sullivan, le créateur de Félix the Cat et, en toute déférence, au pianiste de jazz Joe Sullivan. 4 Le film noir des années trente et quarante est né aux États-Unis et il a surgi des scénarios écrits par les grands maîtres du roman noir, du hard-boiled: Dashiell Hammet, Raymond Chandler, Horace Mccoy, James M. Cain, Raoul Whittfield, Norbert Davis, Frederick Nebel ou William Irish... qui publiaient leurs récits courts dans des revues pulp comme Black Mask. Revue emblématique où tous ces auteurs publiaient des nouvelles avec un style très cinématographique, avec une structure de montage et une idée de narrative visuelle avec une succession de plans. (Simsolo, 2007: 23-25). 5 Le 7 février 1947, le Cartel d’action sociale et morale, dirigé par Daniel Parker –déjà obsédé avec Henry Miller– dénonça le traducteur et l’éditeur du roman J’Irai cracher sur vos tombes pour attentat contre les mœurs. Le scandale fit augmenter les ventes et la popularité de Vian, malgré lui. Le procès est suivi en détail par Noël Arnaud dans son Dossier sur l’affaire J’Irai cracher sur vos tombes (1974). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Adela Cortijo Talavera 353 radical de ton, d’esprit et de matière par rapport aux deux premiers romans signés Vernon Sullivan. Tandis que son premier roman noir, J’Irai cracher sur vos tombes (1946), continue à être bien vendu, Boris Vian veut continuer à exploiter le filon pseudo-américain, et il endosse cette fois-ci la personnalité d’un reporter de quotidien américain pour ce nouveau thriller. Ce roman pouvait être considéré comme le plus vianien des Sullivan. L’auteur manifeste avoir voulu “emmerder” le solliciteur imprudent de France dimanche. (Rybalka, 1984: 232). En effet, son récit est considéré par l’hebdomadaire trop audacieux pour le public moyen et le salut moral des familles et il est contraint d’expurger des passages. La publication sera interrompue après deux mois, février-avril, sous la pression des lecteurs indignés et il reprendra avec plus de liberté la rédaction de son roman où il mélange le noir avec la science-fiction en s’abandonnant librement à son insu. Une fois épuisée la problématique de la ségrégation raciale et la figuration du genre avec ces héros noirs cachés sous une peau blanche6, Boris Vian changea de registre et introduisit de l’humour et de l’absurde dans ce beau monstre de nature qui combinait le noir avec le genre d’espionnage et l’anticipation dystopique. Vian les fusionnait à son gré et, grâce à cet omnigenre, il actualisait les stéréotypes et truismes du hard boiled. Comme il a fait aussi avec sa Série Blême (1952), polar théâtral en vers alexandrins d’où il tirait son Petit traité du parfait assassin, il a créé un roman canular, parodique, futuriste et perturbateur et il a placé l’intrigue, féru de cinéma, dans le berceau des mouvizes et des stars étincelantes du cinéma. En montrant les coulisses de Los Angeles, il se moquait ouvertement de la devise olympienne fortius, altius, citius7 et il anticipait, à la fin des années quarante, l’esclavage actuel du gymnase, des diètes et de la chirurgie esthétique. Boris Vian présentait, à ce fin, un savant fou, le docteur Markus Schutz, poursuivi par le FBI parce qu’il réalisait des expérimentations génétiques clandestines afin d’améliorer et d’embellir la race humaine et de créer, en Californie, des séries de spécimens parfaits. Opérant in vivo et in vitro sur des pin-up girls et des géniteurs herculéens choisis, Schutz manipulait et mûrissait des embryons, triomphait dans le clonage sélectif et fabriquait une race d’Apollons et de Vénus qui prendraient bientôt le pouvoir impérial absolu aux ÉtatsUnis. Le but explicite de ce méchant aux yeux gris et glacials, maître d’eugénisme, était de finir avec la laideur dans ce monde parce qu’elle lui était insupportable. Cette entreprise projetait la menace de la construction d’une élite sociale artificielle et d’un système de gouvernement pseudo-scientifique. 6 Les protagonistes des deux premiers romans signés Vernon Sullivan sont des noirs qui ont des peaux blanches, des métis “transfuges” et qui cachent, donc, leur race et leur identité. Métaphore facile et limpide d’un univers manichéen. 7 Vid. “‘Fortius altius citius’: la visión autobiográfica e insular de dos patafísicos: Georges Perec y Boris Vian” (Cortijo, 2004). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 354 –Qui vous a donné de faire des êtres vivants? Demande Mike. –Les gens sont tous très laids, dit Schutz. Avez-vous remarqué qu’on ne peut pas se promener dans la rue sans voir des quantités des gens laids? Eh bien, j’adore me promener dans la rue, mais j’ai horreur du laid. Aussi je me suis construit une rue et j’ai fabriqué des jolis passants... C’est ce qu’il y avait de plus simple. J’ai gagné beaucoup d’argent en soignant des milliardaires pleins d’ulcères à l’estomac... Mais j’en ai assez... Ça m’a suffi... Chez moi un slogan: On tuera tous les affreux... C’est amusant, n’est pas? (Vian, 1997: 995). 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In this article we propose the study of a curious process of generic combination, noir genre and dystopian science fiction, and an intermediate phenomenon of literature and cinema through the analysis of Boris Vian’s pastiches under the pseudonym Vernon Sullivan. We focus, in particular, on a Hollywoodian subgenre of criticism of seriality and artificial perfection. For this we expose an original approach to the novel Et on tuera tous les affreux (1948) in relation to three North American films cataloged as neo-noir –two of them adaptations of novels by Ellroy– in order to study the representation of the femme fatale in a hypermasculinized context from an aesthetic, stylistic and sociological point of view. Key-words Boris Vian, Vernon Sullivan, film noir, vamp. Resumen En este artículo proponemos el estudio de un curioso proceso de combinación genérica, de género negro y ciencia ficción distópica, y un fenómeno intermediático de literatura y cine a través del análisis de los pastiches de Boris Vian bajo el seudónimo de Vernon Sullivan. Nos centramos, en concreto, en un subgénero Hollywoodiense de crítica a la serialidad y la perfección artificial. Para ello exponemos un acercamiento original a la novela Et on tuera tous les affreux (1948) en relación con tres films norteamericanos catalogados como neonoir, –dos de ellos adaptaciones de novelas de Ellroy– con el objeto de estudiar la representación de la femme fatale en un contexto hipermasculinizado desde un punto de vista estético, estilístico y sociológico. Palabras clave Boris Vian, Vernon Sullivan, film noir, femme fatale. Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 352 1. Le sacrifice cérémonial des affreux. Genèse d’un roman hybride Boris Vian fut introduit très tôt dans la Série noire, la collection de Gallimard créée en septembre 1945 par son ami Marcel Duhamel. Tout seul ou en collaboration avec sa première épouse, Michèle Léglise, il traduisit des romans de Chandler: La dame du lac (1952) et Le grand sommeil, et de Peter Cheyney, Les femmes s’en balancent (1949)1. Mais il passa vite de la traduction créative à l’invention parodique et hyperbolique en faisant usage des combinaisons de franslang et d’amerargot. Il publia quatre romans et une nouvelle, entre 1946 et 1950, dans les éditions du Scorpion de Jean d’Halluin2: J’Irai cracher sur vos tombes (1946), Les morts ont tous la même peau (1947), roman suivi de la nouvelle “Les chiens, le désir et la mort” (1947), Et on tuera tous les affreux (1948) et Elles se rendent pas compte (1950). Il écrivit ces pastiches du noir avec tous les ingrédients propres du genre et des touches surréalistes vianiennes masqué sous un pseudonyme. Il prétendait avoir traduit de l’anglais américain les romans de Vernon Sullivan3, dont il était le véritable auteur. Or ce Sullivan, romancier afro-américain –son alter negro comme disait Michel Rybalka– supposait un véritable black mask4. Sans vouloir m’attarder ici sur la légende noire et le scandale du premier Vernon Sullivan5, je voudrais mettre en exergue le troisième roman: Et on tuera tous les affreux (1948) qui commença à être publié en feuilleton dans France dimanche –ce qui expliquerait sa structure en trente chapitres qui finissaient parfois en points suspensifs– et dont la publication fut interrompue à cause des protestes des lecteurs, pour attenter contre les bonnes mœurs et qui fut finalement remanié et publié dans les éditions du Scorpion. Ce texte constitua un changement 1 Ensemble ils ont traduit le no 8 de la SN, La dame du lac (1952) –The Lady in the Lake (1939)– de Raymond Chandler et le no 22 SN, Les femmes s’en balancent (1949) –Dames Don’t Care (1937)– de Peter Cheyney. Boris Vian a traduit pour la Série Noire le no 13, Le grand sommeil (1948) –The Big Sleep (1939)– de Raymond Chandler. Et Michelle Vian le no 645, Il fait ce qu’il peut (1961) –Why Pick on Me ? (1951)– de J. H. Chase. 2 “[...] Billetdoux nous raconte que Vian avait eu vers juillet 1946 une conversation avec son ami Jean d’Halluin qui, pour ses Éditions du Scorpion, cherchait un thriller anglo-saxon à traduire pour contrebalancer le triomphe commercial de la NRF dans sa Série noire avec Pas d’orchidées pour Miss Blandish de J. H. Chase. Vian avait alors gagé qu’il écrirait en quinze jours un modèle du genre, susceptible de passer pour une de ces traductions dont le style lui était si familier. Pris le mot, il tint son pari en août avec une incroyable facilité” (Baudin, 1966: 15). 3 Il choisit Vernon comme le saxo tenor de bebop Vernon Story, qu’il louait dans ses Chroniques de Jazz, et en hommage aussi de son ami Paul Vernon, musicien de l’orchestre amateur Claude Abadie. Et Sullivan à cause, peut-être, de Pat Sullivan, le créateur de Félix the Cat et, en toute déférence, au pianiste de jazz Joe Sullivan. 4 Le film noir des années trente et quarante est né aux États-Unis et il a surgi des scénarios écrits par les grands maîtres du roman noir, du hard-boiled: Dashiell Hammet, Raymond Chandler, Horace Mccoy, James M. Cain, Raoul Whittfield, Norbert Davis, Frederick Nebel ou William Irish... qui publiaient leurs récits courts dans des revues pulp comme Black Mask. Revue emblématique où tous ces auteurs publiaient des nouvelles avec un style très cinématographique, avec une structure de montage et une idée de narrative visuelle avec une succession de plans. (Simsolo, 2007: 23-25). 5 Le 7 février 1947, le Cartel d’action sociale et morale, dirigé par Daniel Parker –déjà obsédé avec Henry Miller– dénonça le traducteur et l’éditeur du roman J’Irai cracher sur vos tombes pour attentat contre les mœurs. Le scandale fit augmenter les ventes et la popularité de Vian, malgré lui. Le procès est suivi en détail par Noël Arnaud dans son Dossier sur l’affaire J’Irai cracher sur vos tombes (1974). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Adela Cortijo Talavera 353 radical de ton, d’esprit et de matière par rapport aux deux premiers romans signés Vernon Sullivan. Tandis que son premier roman noir, J’Irai cracher sur vos tombes (1946), continue à être bien vendu, Boris Vian veut continuer à exploiter le filon pseudo-américain, et il endosse cette fois-ci la personnalité d’un reporter de quotidien américain pour ce nouveau thriller. Ce roman pouvait être considéré comme le plus vianien des Sullivan. L’auteur manifeste avoir voulu “emmerder” le solliciteur imprudent de France dimanche. (Rybalka, 1984: 232). En effet, son récit est considéré par l’hebdomadaire trop audacieux pour le public moyen et le salut moral des familles et il est contraint d’expurger des passages. La publication sera interrompue après deux mois, février-avril, sous la pression des lecteurs indignés et il reprendra avec plus de liberté la rédaction de son roman où il mélange le noir avec la science-fiction en s’abandonnant librement à son insu. Une fois épuisée la problématique de la ségrégation raciale et la figuration du genre avec ces héros noirs cachés sous une peau blanche6, Boris Vian changea de registre et introduisit de l’humour et de l’absurde dans ce beau monstre de nature qui combinait le noir avec le genre d’espionnage et l’anticipation dystopique. Vian les fusionnait à son gré et, grâce à cet omnigenre, il actualisait les stéréotypes et truismes du hard boiled. Comme il a fait aussi avec sa Série Blême (1952), polar théâtral en vers alexandrins d’où il tirait son Petit traité du parfait assassin, il a créé un roman canular, parodique, futuriste et perturbateur et il a placé l’intrigue, féru de cinéma, dans le berceau des mouvizes et des stars étincelantes du cinéma. En montrant les coulisses de Los Angeles, il se moquait ouvertement de la devise olympienne fortius, altius, citius7 et il anticipait, à la fin des années quarante, l’esclavage actuel du gymnase, des diètes et de la chirurgie esthétique. Boris Vian présentait, à ce fin, un savant fou, le docteur Markus Schutz, poursuivi par le FBI parce qu’il réalisait des expérimentations génétiques clandestines afin d’améliorer et d’embellir la race humaine et de créer, en Californie, des séries de spécimens parfaits. Opérant in vivo et in vitro sur des pin-up girls et des géniteurs herculéens choisis, Schutz manipulait et mûrissait des embryons, triomphait dans le clonage sélectif et fabriquait une race d’Apollons et de Vénus qui prendraient bientôt le pouvoir impérial absolu aux ÉtatsUnis. Le but explicite de ce méchant aux yeux gris et glacials, maître d’eugénisme, était de finir avec la laideur dans ce monde parce qu’elle lui était insupportable. Cette entreprise projetait la menace de la construction d’une élite sociale artificielle et d’un système de gouvernement pseudo-scientifique. 6 Les protagonistes des deux premiers romans signés Vernon Sullivan sont des noirs qui ont des peaux blanches, des métis “transfuges” et qui cachent, donc, leur race et leur identité. Métaphore facile et limpide d’un univers manichéen. 7 Vid. “‘Fortius altius citius’: la visión autobiográfica e insular de dos patafísicos: Georges Perec y Boris Vian” (Cortijo, 2004). Anales de Filología Francesa, n.o 26, 2018 Littérature et film noirs dans Et on tuera tous les affreux (1948) de Vernon Sullivan 354 –Qui vous a donné de faire des êtres vivants? Demande Mike. –Les gens sont tous très laids, dit Schutz. Avez-vous remarqué qu’on ne peut pas se promener dans la rue sans voir des quantités des gens laids? Eh bien, j’adore me promener dans la rue, mais j’ai horreur du laid. Aussi je me suis construit une rue et j’ai fabriqué des jolis passants... C’est ce qu’il y avait de plus simple. J’ai gagné beaucoup d’argent en soignant des milliardaires pleins d’ulcères à l’estomac... Mais j’en ai assez... Ça m’a suffi... Chez moi un slogan: On tuera tous les affreux... C’est amusant, n’est pas? (Vian, 1997: 995). Le protagoniste, Rock Bailey –un beau garçon, grand, blond, avec des yeux bleus– s’introduit in medias res dans ce