{"title":"情绪","authors":"Julie Lebeau","doi":"10.56746/exercer.2023.192.147","DOIUrl":null,"url":null,"abstract":"Les émotions ne sont pas de simples conséquences du traitement que nos personnalités proposent des informations sensorielles qui arrivent à nos cortex. Elles ne se contentent pas de moduler, avec plus ou moins de subtilité, les réactions que nous attribuons à notre « caractère ». Elles nous définissent. À tel point que nous en arrivons à classer les personnes que nous rencontrons non pas en fonction de leurs caractéristiques propres, mais en fonction des émotions que nous-mêmes ressentons face à elles. Et cette façon de considérer l’autre n’est pas réservée à la sphère privée – comment pourrait-elle l’être ? – elle intervient de façon parfois cruciale dans la relation médecin-patient. Qu’est-ce donc qu’un « patient difficile », sinon un patient qui génère en nous des émotions que nous ne souhaiterions pas avoir à gérer dans le cadre de notre exercice ? Il est d’autant plus surprenant qu’alors que nous recherchons sans cesse, dans les arts, les divertissements et les multiples modalités des relations interhumaines, à créer et à ressentir des émotions, qu’elles aient pu faire l’objet, dans la formation médicale « classique », d’une censure quasi absolue posée comme un principe : il faut se blinder ! Nous savons tous maintenant à quel point cette subtilité toute militaire, qui ambitionnait de transformer l’étudiant en soins et sa vocation en char d’assaut, trouve ses limites face à des patients difficilement assimilables à des ennemis à exterminer… La complexité des ressentis de la relation thérapeutique ne peut à l’évidence se contenter de réponses simples et toutes faites, d’autant que ces réponses voudraient nous protéger de ce qui viendrait de l’extérieur (le « blindage »…) alors qu’il nous faut apprendre à reconnaître et à vivre avec ce qui vient de nous-mêmes, ce qui est nous-mêmes. Les chercheurs québécois, spécialistes de la communication professionnelle en santé, nous montrent que c’est par la maîtrise du langage que nos émotions peuvent devenir des outils1. Bouchet et al., de leur côté, nous suggèrent qu’il reste beaucoup à inventer et à faire dans ce domaine dans la formation initiale à la médecine générale2. Faire face à ces questionnements complexes oblige à une exploration minutieuse des éléments de la complexité relationnelle, oblige à la maîtrise de méthodes pertinentes pour des recherches conduites dans le cadre spécifique des soins premiers. Ce n’est par hasard, par facilité ou par opportunisme que la médecine générale a fait siennes les méthodes de recherche des sciences humaines et sociales. 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