Maps and Symbolic Power: Cartographic Discourse and the Rise of Spy Hysteria in the Russian Empire on the Eve of World War I

RÉSUMÉ:Le concept de carte a subi une transformation importante au cours des trente dernières années. Différentes orientations théoriques ont apporté des ajustements importants à la compréhension des cartes, si bien que les images cartographiques ne sont plus perçues comme des «miroirs de la nature», reflétant impassiblement la réalité. Cependant, les approches critiques actuellement dominantes pour penser les cartes ne sont pas sans défauts. La thèse selon laquelle la carte en tant que telle possède un pouvoir magique puissant pour transformer la réalité sociale en est un élément clé. Cette notion quelque peu naïve, qui s’apparente à la pensée magique prémoderne sur les images, empêche de comprendre correctement le fonctionnement des cartes et d’où elles tirent leur pouvoir performatif. Le concept de pouvoir symbolique de Pierre Bourdieu permet de clarifier ces questions. Dans cet article, à l’aide d’une étude de cas portant sur la carte n° 45, créée par le district militaire de Kiev de l’Empire russe à la veille de la Première Guerre mondiale, je montre comment l’approche de Bourdieu fonctionne dans un matériau concret, en mettant en évidence la relation des images cartographiques performatives avec les positions structurelles des acteurs impliqués dans le jeu social avec les cartes ainsi qu’avec le champ politique, le champ bureaucratique et les énoncés performatifs précédents et suivants. Le cas choisi pour l’analyse est intéressant dans la mesure où il nous permet de voir comment des images cartographiques incertaines et constamment contestées, accompagnées de discours absurdement agressifs, contribuent dans certaines circonstances à la naissance de faits juridiques (performatifs de premier ordre) qui entraînent des conséquences sociales désastreuses. Parallèlement, l’histoire de la carte n° 45 démontre la fragilité de la magie sociale et ses origines non cartographiques.ABSTRACT:The conception of maps has undergone major transformations over the past 30-odd years. Various theoretical trends have made significant alterations to the understanding of maps, such that cartographic images are no longer considered to be “mirrors of nature,” which reflect reality in a dispassionate manner. However, the dominant contemporary critical approaches to map interpretation also have their own flaws. The pivotal one is the thesis that a map, as such, has great magical power that can transform social reality. This rather naïve perception, in many ways similar to pre-modern magical reasoning about imagery, prevents an appropriate understanding of the ways in which maps work and the sources from which they derive their performative power. The concept of symbolic power developed by Pierre Bourdieu clarifies these questions. This article uses a case study of Map No. 45, created by the Kiev Military District of the Russian Empire on the eve of World War I, to show how Bourdieu’s method works with specific material, highlighting the relation between performative cartographic images and the structural positions of the actors involved in the social game with maps, as well as the political and bureaucratic fields, and preceding and succeeding performative statements. The case taken for analysis illustrates how vague, constantly disputed cartographic images, accompanied by absurd, aggressive discourses, under certain circumstances contribute to the appearance of legal acts (first-order performatives) that lead to catastrophic social consequences. At the same time, the history of Map No. 45 demonstrates the fragility of social magic and its non-cartographic origin.