Hanan C. Selvin inventa l’expression d’erreur écologique (ecological fallacy) dans un article de 1958. Il y pointait les erreurs d’interprétation d’Émile Durkheim qui, dans Le suicide, établissait des corrélations entre diverses propriétés sociales et la propension au suicide à partir de données agrégées à l’échelle de territoires (le département pour la France, la région pour la Prusse, etc.). Par exemple, le taux de suicide étant plus important dans les régions de Prusse où les protestants sont plus nombreux, il existerait un lien entre protestantisme et suicide. Or, les suicides recensés pouvaient en réalité concerner tout autant des protestants que des catholiques : les données ne permettant pas de le mesurer au niveau individuel, il est erroné d’en déduire un lien individuel entre religion et suicide. Selvin appuyait sa critique sur un article de William S. Robinson paru huit ans plus tôt, dont Cambouis propose ici une traduction. Robinson établit mathématiquement, pour la première fois, les raisons pour lesquelles une corrélation observée entre des pourcentages ou des taux portant sur une population agrégée à l’échelle de découpages territoriaux s’avère souvent différente d’une corrélation entre des caractéristiques mesurées à l’échelle des individus composant cette population. Ainsi, plus les immigré⋅es sont nombreux dans une région des États-Unis, plus le taux d’illettrisme y est faible ; pourtant, à l’échelle individuelle, les immigré⋅es s’avèrent en moyenne plus souvent illettré⋅es que les autochtones (une explication possible de cet écart est que les immigré⋅es tendent à s’installer dans les régions aux plus faibles taux d’illettrisme). S’il nous paraît utile de remettre en visibilité cette démonstration aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas empêché depuis que nombre d’analyses statistiques succombent (tout en s'en défendant souvent) à la tentation d’inférer des relations « écologiques » mal contrôlées en l’absence de données individuelles – c’est ainsi fréquent en analyse électorale, lorsque par exemple est déduit de la corrélation entre la forte présence d’ouvrier⋅es et l’importance du vote FN/RN à l’échelle des circonscriptions que les ouvrier⋅es seraient passé⋅es du vote PCF au vote FN/RN, alors que les sondages « sorties des urnes », qui offrent des données individuelles, établissent que, pour l’essentiel, ce ne sont pas les mêmes ouvrier⋅es qui votaient PCF (et aujourd’hui tendent à s’abstenir) et qui votent aujourd’hui FN/RN (et qui auparavant tendaient à s’abstenir). Le risque d'erreur écologique est également l'un des facteurs du développement des modèles multiniveaux, par exemple en sciences politiques ou en démographie (voir, respectivement, les travaux d'Andrew Gelman et de Daniel Courgeau).
Hanan C. Selvin 在 1958 年的一篇文章中创造了生态谬误一词。在这篇文章中,他指出了埃米尔-杜克海姆(Émile Durkheim)的误读,杜克海姆在《自杀》(Le Suicide)一书中,根据地区层面(法国的省,普鲁士的地区等)的汇总数据,确定了各种社会属性与自杀倾向之间的相关性。例如,由于普鲁士地区新教徒较多,自杀率较高,因此新教与自杀之间似乎存在联系。然而,记录在案的自杀事件中可能既有新教徒,也有天主教徒:由于数据无法从个体层面进行衡量,因此推断出宗教与自杀之间的个体联系是错误的。塞尔文的批评基于威廉-罗宾逊(William S. Robinson)八年前发表的一篇文章,坎布瓦在此翻译了这篇文章。罗宾逊首次用数学方法证明了为什么在地区划分层面上观察到的人口百分比或比率之间的相关性往往不同于在人口个体层面上测量到的特征之间的相关性。例如,美国某个地区的移民人数越多,该地区的文盲率就越低;然而,就个人而言,移民的平均文盲率却高于本地人(对这种差异的一种可能解释是,移民往往定居在文盲率最低的地区)。如果我们认为今天重温这一论证是有益的,那是因为它并没有阻止许多统计分析在缺乏个体数据的情况下屈服于推断控制不力的 "生态 "关系的诱惑(尽管常常否认这一点)--这是选举分析中经常出现的情况、例如,根据蓝领工人的大量存在与选区内新生力量/民族阵线选票规模之间的相关性,推断蓝领工人会从投票给保卫刚果阵线转为投票给新生力量/民族阵线,而提供个别数据的 "出口民调 "却证实蓝领工人会从投票给保卫刚果阵线转为投票给新生力量/民族阵线、而提供个人数据的 "出口民调 "则表明,在大多数情况下,现在投票给 FN/RN(以前倾向于弃权)的并不是以前投票给 PCF(现在倾向于弃权)的工人阶级。生态误差的风险也是发展多层次模型的因素之一,例如在政治学或人口学领域(分别参见 Andrew Gelman 和 Daniel Courgeau 的著作)。
{"title":"Corrélations écologiques et comportement des individus","authors":"William S. Robinson","doi":"10.52983/crev.vi.101","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi.101","url":null,"abstract":"Hanan C. Selvin inventa l’expression d’erreur écologique (ecological fallacy) dans un article de 1958. Il y pointait les erreurs d’interprétation d’Émile Durkheim qui, dans Le suicide, établissait des corrélations entre diverses propriétés sociales et la propension au suicide à partir de données agrégées à l’échelle de territoires (le département pour la France, la région pour la Prusse, etc.). Par exemple, le taux de suicide étant plus important dans les régions de Prusse où les protestants sont plus nombreux, il existerait un lien entre protestantisme et suicide. Or, les suicides recensés pouvaient en réalité concerner tout autant des protestants que des catholiques : les données ne permettant pas de le mesurer au niveau individuel, il est erroné d’en déduire un lien individuel entre religion et suicide. Selvin appuyait sa critique sur un article de William S. Robinson paru huit ans plus tôt, dont Cambouis propose ici une traduction. Robinson établit mathématiquement, pour la première fois, les raisons pour lesquelles une corrélation observée entre des pourcentages ou des taux portant sur une population agrégée à l’échelle de découpages territoriaux s’avère souvent différente d’une corrélation entre des caractéristiques mesurées à l’échelle des individus composant cette population. Ainsi, plus les immigré⋅es sont nombreux dans une région des États-Unis, plus le taux d’illettrisme y est faible ; pourtant, à l’échelle individuelle, les immigré⋅es s’avèrent en moyenne plus souvent illettré⋅es que les autochtones (une explication possible de cet écart est que les immigré⋅es tendent à s’installer dans les régions aux plus faibles taux d’illettrisme). S’il nous paraît utile de remettre en visibilité cette démonstration aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas empêché depuis que nombre d’analyses statistiques succombent (tout en s'en défendant souvent) à la tentation d’inférer des relations « écologiques » mal contrôlées en l’absence de données individuelles – c’est ainsi fréquent en analyse électorale, lorsque par exemple est déduit de la corrélation entre la forte présence d’ouvrier⋅es et l’importance du vote FN/RN à l’échelle des circonscriptions que les ouvrier⋅es seraient passé⋅es du vote PCF au vote FN/RN, alors que les sondages « sorties des urnes », qui offrent des données individuelles, établissent que, pour l’essentiel, ce ne sont pas les mêmes ouvrier⋅es qui votaient PCF (et aujourd’hui tendent à s’abstenir) et qui votent aujourd’hui FN/RN (et qui auparavant tendaient à s’abstenir). Le risque d'erreur écologique est également l'un des facteurs du développement des modèles multiniveaux, par exemple en sciences politiques ou en démographie (voir, respectivement, les travaux d'Andrew Gelman et de Daniel Courgeau).","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"9 12","pages":""},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2024-01-21","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"139610005","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
La citation de matériel documentaire, composé d’entretiens, de notes d’observation, de documents privés ou publics, est une chose banale, presque routinière, en sociologie. La banalité du procédé n’implique pas cependant qu’y avoir recours soit exempt d’intentions précises de la part des chercheurs, ni qu’il soit sans conséquences sur la perception d’un texte par ses lecteurs. Peu d’écrits pourtant s’attachent de façon précise, exemples concrets à l’appui, aux enjeux épistémologiques de la citation et à ses aspects pratiques. Chacun fait au mieux, et plus ou moins à sa convenance. Ici les citations apparaissent sous forme de blocs en retrait et en corps réduit, là elles se fondent dans la continuité du texte maître. Ici le matériel documentaire semble en entier, et inaltéré, là il est décomposé et réécrit. Chacun du moins revendique au même titre la solidité de ses analyses, dont le matériel documentaire est à la fois la source et le garant. Des chercheurs énoncent que les citations ont peu de valeur probatoire, toutefois, si bien que nos efforts pour aboutir à une version des choses établie sur des preuves, comme telle ouverte au débat contradictoire, seraient vains. Qu’en est-il vraiment ? Autrement dit, pourquoi citer, ainsi que nous sommes accoutumés à le faire ? Et existe-t-il, malgré tout, des principes utiles ? Telles sont les questions ici abordées, par retour de l’auteur sur la façon dont il a procédé dans Avec ceux du FN et dans Martial, et par référence aux nombreux chercheurs qui ont tenté, depuis près d’un siècle, d’apporter des réponses à ces questions qui sont l’ordinaire de notre travail.
{"title":"La citation comme technique de persuasion et comme preuve","authors":"Daniel Bizeul","doi":"10.52983/crev.vi0.97","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.97","url":null,"abstract":"La citation de matériel documentaire, composé d’entretiens, de notes d’observation, de documents privés ou publics, est une chose banale, presque routinière, en sociologie. La banalité du procédé n’implique pas cependant qu’y avoir recours soit exempt d’intentions précises de la part des chercheurs, ni qu’il soit sans conséquences sur la perception d’un texte par ses lecteurs. Peu d’écrits pourtant s’attachent de façon précise, exemples concrets à l’appui, aux enjeux épistémologiques de la citation et à ses aspects pratiques. Chacun fait au mieux, et plus ou moins à sa convenance. Ici les citations apparaissent sous forme de blocs en retrait et en corps réduit, là elles se fondent dans la continuité du texte maître. Ici le matériel documentaire semble en entier, et inaltéré, là il est décomposé et réécrit. Chacun du moins revendique au même titre la solidité de ses analyses, dont le matériel documentaire est à la fois la source et le garant. Des chercheurs énoncent que les citations ont peu de valeur probatoire, toutefois, si bien que nos efforts pour aboutir à une version des choses établie sur des preuves, comme telle ouverte au débat contradictoire, seraient vains. Qu’en est-il vraiment ? Autrement dit, pourquoi citer, ainsi que nous sommes accoutumés à le faire ? Et existe-t-il, malgré tout, des principes utiles ? Telles sont les questions ici abordées, par retour de l’auteur sur la façon dont il a procédé dans Avec ceux du FN et dans Martial, et par référence aux nombreux chercheurs qui ont tenté, depuis près d’un siècle, d’apporter des réponses à ces questions qui sont l’ordinaire de notre travail.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"38 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-07-13","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"125893037","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Cet article propose de discuter du refus et ensuite de l’accès aux délibérations du jury dans les concours internationaux de musique classique. Cet accès m’a été refusé tout au long de ma thèse car le lieu des délibérations est formellement interdit à toute personne externe au jury. Lors des concours, les organisateurs n’aiment pas non plus que les jurés discutent avec d’autres personnes de la compétition en cours. Cette interdiction est même parfois mentionnée dans le règlement. Les organisateurs craignent, dans ces cas, une possibilité d’influence sur les membres du jury. Mes demandes de m’entretenir avec eux en-dehors de la salle de délibération sont restées systématiquement sans réponse. L’investigation de ces jurys constitue ainsi une tâche compliquée. Aucun chercheur n’a jamais été autorisé à accéder à une salle de délibération dans ce contexte. Néanmoins, après huit ans de refus, l’accès aux délibérations du jury m’a finalement été accordé par le directeur d’un concours, ma demande s’insérant dans une activité pédagogique, associant sociologues et musicologues. A travers des extraits de mon journal de terrain, je reviendrai sur les modalités du refus et ensuite de l’accès à ce terrain : l’alliance avec des musicologues, le jeu de rivalités entre concours, leur volonté de démocratisation et leur envie de se singulariser en étant le premier concours à ouvrir le jury à une personne externe. J’inscris également cet accès au terrain dans mon parcours de vie et dans un temps long, l’accès étant dans ce cas soumis au statut de docteure, et dans la transformation à la fois de la chercheuse et de son terrain. L’article revient aussi sur la difficulté de l’enquête dans des lieux soumis au silence et au secret.
{"title":"Dans les coulisses d’un jury de piano","authors":"M. Odoni","doi":"10.52983/crev.vi0.85","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.85","url":null,"abstract":"Cet article propose de discuter du refus et ensuite de l’accès aux délibérations du jury dans les concours internationaux de musique classique. Cet accès m’a été refusé tout au long de ma thèse car le lieu des délibérations est formellement interdit à toute personne externe au jury. Lors des concours, les organisateurs n’aiment pas non plus que les jurés discutent avec d’autres personnes de la compétition en cours. Cette interdiction est même parfois mentionnée dans le règlement. Les organisateurs craignent, dans ces cas, une possibilité d’influence sur les membres du jury. Mes demandes de m’entretenir avec eux en-dehors de la salle de délibération sont restées systématiquement sans réponse. L’investigation de ces jurys constitue ainsi une tâche compliquée. Aucun chercheur n’a jamais été autorisé à accéder à une salle de délibération dans ce contexte. Néanmoins, après huit ans de refus, l’accès aux délibérations du jury m’a finalement été accordé par le directeur d’un concours, ma demande s’insérant dans une activité pédagogique, associant sociologues et musicologues. A travers des extraits de mon journal de terrain, je reviendrai sur les modalités du refus et ensuite de l’accès à ce terrain : l’alliance avec des musicologues, le jeu de rivalités entre concours, leur volonté de démocratisation et leur envie de se singulariser en étant le premier concours à ouvrir le jury à une personne externe. J’inscris également cet accès au terrain dans mon parcours de vie et dans un temps long, l’accès étant dans ce cas soumis au statut de docteure, et dans la transformation à la fois de la chercheuse et de son terrain. L’article revient aussi sur la difficulté de l’enquête dans des lieux soumis au silence et au secret.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"71 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-06-01","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"122275859","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
O. Schwartz, Agnés Aubry, M. Kuehni, Laure Scalambrin
Les thématiques abordées dans l’entretien sont multiples et s’entremêlent en partie. Nous pouvons néanmoins en dégager quelques-unes. Après avoir exposé sa manière de comprendre le « cambouis » dans lequel tout ethnographe plonge ses mains (mais aussi sa tête et son cœur…), Olivier Schwartz revient sur les modalités distinctes d’entrée sur ses terrains d’enquête : alors qu’il mène une enquête que l’on pourrait qualifier d’« incognito » (Dargère, 2012) dans le Nord, auprès d’hommes et de femmes qui sont ses voisin·e·s, il se présente comme un sociologue universitaire à la RATP. L’accès aux conducteurs et conductrices de bus de la région parisienne fait l’objet de nombreuses petites négociations en cascade, du haut vers le bas de la chaîne hiérarchique. Bien que ces deux enquêtes aient cours sur une temporalité longue, les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par Olivier Schwartz diffèrent fortement et sont en partie liées aux rôles endossés sur chacun des terrains. Après avoir discuté des tenants et aboutissants « pratiques », mais aussi épistémologiques, de ses manières différenciées d’enquêter, il raconte très concrètement la façon dont il se présente et présente son travail, soulignant la part « d’inventivité » dont doit faire preuve l’ethnographe pour faire face aux imprévus ou aux lacunes inhérents à ce type de démarche. Il évoque la place centrale du statut de la parole dans ses enquêtes et aborde la question relativement peu débattue dans les arènes académiques des affects et des émotions dans la relation d’enquête, des raisons de ses insatisfactions, mais aussi de ses tourments et sentiments de culpabilité. Ces affects, loin d’être des parasites à la démarche d’enquête, sont au contraire de précieux « baromètres » pour résoudre certains dilemmes éthiques qui surviennent, notamment, au moment de négocier la sortie du terrain et de restituer les résultats de l’enquête. Il insiste sur l’importance de débattre collectivement de ces questions et affirme que sans « l’authentique souci des enquêté-e-s », la démarche ethnographique ne fait aucun sens.
{"title":"De la création de la possibilité de l’enquête à l’engagement ethnographique","authors":"O. Schwartz, Agnés Aubry, M. Kuehni, Laure Scalambrin","doi":"10.52983/crev.vi0.87","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.87","url":null,"abstract":"Les thématiques abordées dans l’entretien sont multiples et s’entremêlent en partie. Nous pouvons néanmoins en dégager quelques-unes. Après avoir exposé sa manière de comprendre le « cambouis » dans lequel tout ethnographe plonge ses mains (mais aussi sa tête et son cœur…), Olivier Schwartz revient sur les modalités distinctes d’entrée sur ses terrains d’enquête : alors qu’il mène une enquête que l’on pourrait qualifier d’« incognito » (Dargère, 2012) dans le Nord, auprès d’hommes et de femmes qui sont ses voisin·e·s, il se présente comme un sociologue universitaire à la RATP. L’accès aux conducteurs et conductrices de bus de la région parisienne fait l’objet de nombreuses petites négociations en cascade, du haut vers le bas de la chaîne hiérarchique. Bien que ces deux enquêtes aient cours sur une temporalité longue, les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par Olivier Schwartz diffèrent fortement et sont en partie liées aux rôles endossés sur chacun des terrains. Après avoir discuté des tenants et aboutissants « pratiques », mais aussi épistémologiques, de ses manières différenciées d’enquêter, il raconte très concrètement la façon dont il se présente et présente son travail, soulignant la part « d’inventivité » dont doit faire preuve l’ethnographe pour faire face aux imprévus ou aux lacunes inhérents à ce type de démarche. Il évoque la place centrale du statut de la parole dans ses enquêtes et aborde la question relativement peu débattue dans les arènes académiques des affects et des émotions dans la relation d’enquête, des raisons de ses insatisfactions, mais aussi de ses tourments et sentiments de culpabilité. Ces affects, loin d’être des parasites à la démarche d’enquête, sont au contraire de précieux « baromètres » pour résoudre certains dilemmes éthiques qui surviennent, notamment, au moment de négocier la sortie du terrain et de restituer les résultats de l’enquête. Il insiste sur l’importance de débattre collectivement de ces questions et affirme que sans « l’authentique souci des enquêté-e-s », la démarche ethnographique ne fait aucun sens.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"474 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-05-30","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"116167202","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Cet échange était pour nous l’occasion d’inviter Jean Peneff à parler de sa carrière, à revenir sur les liens qu’il entretient avec certains sociologues de l’école de Chicago, mais aussi et surtout de nous raconter certaines de ses expériences d’accès aux nombreux terrains d’enquête qu’il a parcouru. De l’Algérie, où il a fait ses premiers pas d’enseignant-chercheur, jusqu’aux observations de la « jungle » de Calais réalisées plus récemment, en passant par la Bretagne, la constante de son parcours est une insatiable curiosité. Les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par le sociologue sont très directement dépendantes du contexte d’enquête et de l’accueil qui lui est réservé. Capacité d’ajustement, de réajustement et d’anticipation sont donc à ses yeux des attributs nécessaires aux chercheur-e-s de terrain. Durant notre discussion, nous avons également questionné Jean Peneff sur l’observation incognito. Alors que ces pratiques de recherche sont aujourd’hui largement débattues dans les arènes académiques, il nous a semblé particulièrement intéressant d’entendre le récit d’une personne qui a créé des identités d’emprunt pour mener ses recherches. Ayant accompli toute sa carrière avec la même conviction de la nécessité d’aller voir par soi-même, il a plusieurs fois eu recours à la « clandestinité » pour poursuivre des enquêtes face à des mondes sociaux et professionnels qui s’y refusaient. Le retour régulier de cette invitation à la curiosité, voire à la ténacité, simple et franche, demeure une constante chez notre interlocuteur, malgré les tentations nostalgiques ou pessimistes qui pourraient survenir de certains développements actuels, notamment l’augmentation des exigences formelles dans la mise en place d’une enquête de terrain (passage par des comités d’éthiques, fiches de consentement, etc.), que Jean Peneff décrit comme de possibles obstacles à une pratique de l’enquête de terrain telle qu’il l’a connue au début de sa carrière.
{"title":"Pour une sociologie curieuse, libre et tenace","authors":"Jean Peneff, M. Kuehni, Michael Meyer","doi":"10.52983/crev.vi0.89","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.89","url":null,"abstract":"Cet échange était pour nous l’occasion d’inviter Jean Peneff à parler de sa carrière, à revenir sur les liens qu’il entretient avec certains sociologues de l’école de Chicago, mais aussi et surtout de nous raconter certaines de ses expériences d’accès aux nombreux terrains d’enquête qu’il a parcouru. De l’Algérie, où il a fait ses premiers pas d’enseignant-chercheur, jusqu’aux observations de la « jungle » de Calais réalisées plus récemment, en passant par la Bretagne, la constante de son parcours est une insatiable curiosité. Les pratiques de (non) négociation mises en œuvre par le sociologue sont très directement dépendantes du contexte d’enquête et de l’accueil qui lui est réservé. Capacité d’ajustement, de réajustement et d’anticipation sont donc à ses yeux des attributs nécessaires aux chercheur-e-s de terrain. Durant notre discussion, nous avons également questionné Jean Peneff sur l’observation incognito. Alors que ces pratiques de recherche sont aujourd’hui largement débattues dans les arènes académiques, il nous a semblé particulièrement intéressant d’entendre le récit d’une personne qui a créé des identités d’emprunt pour mener ses recherches. Ayant accompli toute sa carrière avec la même conviction de la nécessité d’aller voir par soi-même, il a plusieurs fois eu recours à la « clandestinité » pour poursuivre des enquêtes face à des mondes sociaux et professionnels qui s’y refusaient. Le retour régulier de cette invitation à la curiosité, voire à la ténacité, simple et franche, demeure une constante chez notre interlocuteur, malgré les tentations nostalgiques ou pessimistes qui pourraient survenir de certains développements actuels, notamment l’augmentation des exigences formelles dans la mise en place d’une enquête de terrain (passage par des comités d’éthiques, fiches de consentement, etc.), que Jean Peneff décrit comme de possibles obstacles à une pratique de l’enquête de terrain telle qu’il l’a connue au début de sa carrière.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"8 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-05-28","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"114608242","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Si l’institution militaire reste considérée comme un terrain fermé et opaque, elle n’est cependant pas inaccessible au chercheur ou à la chercheuse civil-e. Elle implique cependant une réflexion en amont sur les enjeux spécifiques qui conditionnent l’accès au terrain, ainsi qu’une adaptation permanente pour s’y maintenir. Dans le cadre d’une thèse portant sur la socialisation sexuée des femmes militaires engagées volontairement dans l’Armée suisse, cet article revient de manière concrète sur les différentes stratégies et pratiques de négociation mises en place afin d’accéder aux casernes et aux enquêtées. Il met également en lumière les différents obstacles et résistances rencontrés, ainsi que les concessions qui ont été nécessaires à la réalisation de la recherche. L’« art de convaincre » n’étant pas indépendant de la personne qui tente de l’appliquer, les tactiques ont dû prendre en compte ses caractéristiques sociales, à savoir une jeune femme accédant à un bastion encore fortement masculin. Cela a impliqué notamment la construction d’une crédibilité scientifique et militaire suffisante afin d’être prise au sérieux, tout en sachant paraître suffisamment « inoffensive » pour l’institution.
{"title":"Négocier son entrée dans l’Armée suisse","authors":"S. Monay","doi":"10.52983/crev.vi0.83","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.83","url":null,"abstract":"Si l’institution militaire reste considérée comme un terrain fermé et opaque, elle n’est cependant pas inaccessible au chercheur ou à la chercheuse civil-e. Elle implique cependant une réflexion en amont sur les enjeux spécifiques qui conditionnent l’accès au terrain, ainsi qu’une adaptation permanente pour s’y maintenir. Dans le cadre d’une thèse portant sur la socialisation sexuée des femmes militaires engagées volontairement dans l’Armée suisse, cet article revient de manière concrète sur les différentes stratégies et pratiques de négociation mises en place afin d’accéder aux casernes et aux enquêtées. Il met également en lumière les différents obstacles et résistances rencontrés, ainsi que les concessions qui ont été nécessaires à la réalisation de la recherche. L’« art de convaincre » n’étant pas indépendant de la personne qui tente de l’appliquer, les tactiques ont dû prendre en compte ses caractéristiques sociales, à savoir une jeune femme accédant à un bastion encore fortement masculin. Cela a impliqué notamment la construction d’une crédibilité scientifique et militaire suffisante afin d’être prise au sérieux, tout en sachant paraître suffisamment « inoffensive » pour l’institution.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"44 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-04-08","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"133368818","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Cet article se penche sur les négociations en ethnographie, par la mobilisation d’un cas d’enquête comparatif original, mené auprès de deux institutions promouvant la santé sexuelle en Suisse romande. La première institution est un centre de santé sexuelle ayant pour public cible les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). La deuxième institution est un centre de santé sexuelle accueillant le tout public (planning familial). Envisageant les négociations comme un processus itératif, je montre que les négociations ne se limitent pas à une étape unique à franchir en amont de la conduite de l’enquête. Par une analyse doublement comparative – entre deux institutions et entre deux phases de l’enquête – cet article montre qu’un accès officiel aisé ne constitue pas forcément une garantie d’accès à l’information dans la conduite de l’enquête. A l’inverse, un accès officiel complexe n’exclut pas un accès facilité à l’information dans la suite du travail de recherche. Ouvrant la « boîte noire » des négociations, il s’agira de comprendre et d’analyser ces dynamiques contrastées.
{"title":"Négocier pour accéder au terrain et conduire l’enquête","authors":"Marlyse Debergh","doi":"10.52983/crev.vi0.81","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.81","url":null,"abstract":"Cet article se penche sur les négociations en ethnographie, par la mobilisation d’un cas d’enquête comparatif original, mené auprès de deux institutions promouvant la santé sexuelle en Suisse romande. La première institution est un centre de santé sexuelle ayant pour public cible les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). La deuxième institution est un centre de santé sexuelle accueillant le tout public (planning familial). Envisageant les négociations comme un processus itératif, je montre que les négociations ne se limitent pas à une étape unique à franchir en amont de la conduite de l’enquête. Par une analyse doublement comparative – entre deux institutions et entre deux phases de l’enquête – cet article montre qu’un accès officiel aisé ne constitue pas forcément une garantie d’accès à l’information dans la conduite de l’enquête. A l’inverse, un accès officiel complexe n’exclut pas un accès facilité à l’information dans la suite du travail de recherche. Ouvrant la « boîte noire » des négociations, il s’agira de comprendre et d’analyser ces dynamiques contrastées.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"1 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-04-06","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"131386986","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Cette contribution opère un retour réflexif et pratique sur l’accès au terrain d’une recherche en cours, portant sur les trajectoires et expériences des jeunes dans la justice pénale pour mineur·es en Suisse romande. En quête de vécus et de discours contrastés, nous avons privilégié une approche multi-site plutôt qu’une immersion au sein d’un unique dispositif. C’est ainsi par le biais de huit institutions pénales que nous avons pu nous entretenir avec des adolescent∙es confronté∙es à la justice. Négocier l’accès à des enquêté·es sous emprises institutionnelles par le biais de ces dernières a comporté deux spécificités majeures. D’une part, cela a entrainé la multiplication des situations de négociations, dont les impératifs, interlocuteur∙rices et modalités différaient à chaque fois. D’autre part, nous avons dû gagner l’accord d’un double public : les professionnel∙les de la chaîne pénale dans un premier temps et les jeunes dans un deuxième. Nos négociations ont ainsi été soumises à deux ensembles de contraintes, discours et techniques à mobiliser différents, si ce n’est opposés. Ce double impératif nous renseigne grandement sur notre objet et met en lumière plusieurs enjeux : les différentes relations d’enquête qui se donnent à voir sur le terrain (entre chercheur∙es et jeunes, entre jeunes et professionnel∙les…) ainsi qu’un certain mimétisme entre le type de sanction pénale et la négociation du terrain.
{"title":"Un droit d’entrée sur le terrain à géométrie variable","authors":"Armelle Weil, Géraldine Bugnon, Arnaud Frauenfelder","doi":"10.52983/crev.vi0.79","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.79","url":null,"abstract":"Cette contribution opère un retour réflexif et pratique sur l’accès au terrain d’une recherche en cours, portant sur les trajectoires et expériences des jeunes dans la justice pénale pour mineur·es en Suisse romande. En quête de vécus et de discours contrastés, nous avons privilégié une approche multi-site plutôt qu’une immersion au sein d’un unique dispositif. C’est ainsi par le biais de huit institutions pénales que nous avons pu nous entretenir avec des adolescent∙es confronté∙es à la justice. Négocier l’accès à des enquêté·es sous emprises institutionnelles par le biais de ces dernières a comporté deux spécificités majeures. D’une part, cela a entrainé la multiplication des situations de négociations, dont les impératifs, interlocuteur∙rices et modalités différaient à chaque fois. D’autre part, nous avons dû gagner l’accord d’un double public : les professionnel∙les de la chaîne pénale dans un premier temps et les jeunes dans un deuxième. Nos négociations ont ainsi été soumises à deux ensembles de contraintes, discours et techniques à mobiliser différents, si ce n’est opposés. Ce double impératif nous renseigne grandement sur notre objet et met en lumière plusieurs enjeux : les différentes relations d’enquête qui se donnent à voir sur le terrain (entre chercheur∙es et jeunes, entre jeunes et professionnel∙les…) ainsi qu’un certain mimétisme entre le type de sanction pénale et la négociation du terrain.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"40 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-04-05","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"128799308","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
Pour les chercheur.es se revendiquant d’une approche ethnographique, la négociation de l’accès à un terrain de recherche représente une occasion de compréhension du monde. Dès lors, la formalisation croissante des procédures d’enquête conduit à se demander dans quelle mesure les modalités d’accès aux terrains sont transformées et interrogent l’ethnographie jusque dans ses fondements. Dans cette perspective, nous présentons le déroulement de l’accès au terrain pour une recherche portant sur les relations école-familles au sein de l’enseignement primaire genevois. Nous décrivons le processus ayant permis de recueillir les données, les ajustements réalisés, les difficultés et les contraintes éprouvées par les chercheur.es lors des différentes phases de la négociation : (1) en amont de la recherche, au cours de la conception du projet et des procédures visant à obtenir les accords nécessaires, (2) au début de l’enquête, auprès des directeur.trices et des équipes pédagogiques et (3) auprès de chaque enseignant.e tout au long du travail de terrain. Si l’analyse du processus de négociation donne l’occasion de saisir l’environnement qui configure le terrain et la manière dont les acteurs s’y inscrivent, la formalisation a des effets tangibles sur l’enquête, puisqu’elle tend à étirer et à rigidifier cette phase préalable ainsi qu’à contrecarrer une négociation interindividuelle. Les relations entre chercheur.es et enquêté.es apparaissent dénaturées et un climat de crainte pour soi et pour autrui s’installe. Les réticences de certain.es professionnel.les vis-à-vis de l’enquête, qui s’érigent en défenseurs des usagers, apparaissent avant tout comme une protection des institutions (et des professionnel.les) et comme l’expression d’une judiciarisation des rapports sociaux. Ceci nous conduit alors à interroger la part d’autonomie et de liberté des chercheur.ses.
{"title":"L’ethnographie au péril de la formalisation des procédures d’enquête","authors":"D. Rufin, F. Deshayes","doi":"10.52983/crev.vi0.77","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.77","url":null,"abstract":"Pour les chercheur.es se revendiquant d’une approche ethnographique, la négociation de l’accès à un terrain de recherche représente une occasion de compréhension du monde. Dès lors, la formalisation croissante des procédures d’enquête conduit à se demander dans quelle mesure les modalités d’accès aux terrains sont transformées et interrogent l’ethnographie jusque dans ses fondements. Dans cette perspective, nous présentons le déroulement de l’accès au terrain pour une recherche portant sur les relations école-familles au sein de l’enseignement primaire genevois. Nous décrivons le processus ayant permis de recueillir les données, les ajustements réalisés, les difficultés et les contraintes éprouvées par les chercheur.es lors des différentes phases de la négociation : (1) en amont de la recherche, au cours de la conception du projet et des procédures visant à obtenir les accords nécessaires, (2) au début de l’enquête, auprès des directeur.trices et des équipes pédagogiques et (3) auprès de chaque enseignant.e tout au long du travail de terrain. Si l’analyse du processus de négociation donne l’occasion de saisir l’environnement qui configure le terrain et la manière dont les acteurs s’y inscrivent, la formalisation a des effets tangibles sur l’enquête, puisqu’elle tend à étirer et à rigidifier cette phase préalable ainsi qu’à contrecarrer une négociation interindividuelle. Les relations entre chercheur.es et enquêté.es apparaissent dénaturées et un climat de crainte pour soi et pour autrui s’installe. Les réticences de certain.es professionnel.les vis-à-vis de l’enquête, qui s’érigent en défenseurs des usagers, apparaissent avant tout comme une protection des institutions (et des professionnel.les) et comme l’expression d’une judiciarisation des rapports sociaux. Ceci nous conduit alors à interroger la part d’autonomie et de liberté des chercheur.ses.","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"210 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-04-04","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"133477971","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}
S’appuyant sur une thèse de sociologie consacrée au « tourment militant » au sein du Parti Socialiste et fondée sur une enquête par immersion ethnographique, l’article se propose de revenir sur les trois étapes de cette immersion – l’accès au terrain, le maintien sur celui-ci, la sortie du terrain. Seront ainsi interrogées, pour chacune d’entre elles, les stratégies plus ou moins conscientes mises en œuvre par le chercheur pour négocier sa place sur le terrain, passant progressivement du statut de jeune doctorant sympathisant à celui de « militant professionnalisé ». Assumer la double identité de militant et de chercheur nécessite de concilier, d’un côté, l’établissement et l’entretien de relations interpersonnelles sur les différentes scènes du monde militant local avec, de l’autre côté, les logiques d’objectivation qu’impose l’enquête. L’article permet ainsi de soulever la question de la négociation de la présence du chercheur sur son terrain (s’assurer des cooptations, faire ses preuves, donner des gages de fidélité…) et de l’évolution des formes que peut prendre cette négociation au cours d’une recherche par immersion ethnographique de longue durée. En offrant un accès à une intimité militante difficilement explorable par d’autres voies méthodologiques que celle ici analysée, la recherche a finalement rendu possible une sociologie « par le soi » du « tourment militant ».
{"title":"Accéder au terrain, s’y maintenir, le quitter","authors":"Kévin Delasalle","doi":"10.52983/crev.vi0.75","DOIUrl":"https://doi.org/10.52983/crev.vi0.75","url":null,"abstract":"S’appuyant sur une thèse de sociologie consacrée au « tourment militant » au sein du Parti Socialiste et fondée sur une enquête par immersion ethnographique, l’article se propose de revenir sur les trois étapes de cette immersion – l’accès au terrain, le maintien sur celui-ci, la sortie du terrain. Seront ainsi interrogées, pour chacune d’entre elles, les stratégies plus ou moins conscientes mises en œuvre par le chercheur pour négocier sa place sur le terrain, passant progressivement du statut de jeune doctorant sympathisant à celui de « militant professionnalisé ». Assumer la double identité de militant et de chercheur nécessite de concilier, d’un côté, l’établissement et l’entretien de relations interpersonnelles sur les différentes scènes du monde militant local avec, de l’autre côté, les logiques d’objectivation qu’impose l’enquête. L’article permet ainsi de soulever la question de la négociation de la présence du chercheur sur son terrain (s’assurer des cooptations, faire ses preuves, donner des gages de fidélité…) et de l’évolution des formes que peut prendre cette négociation au cours d’une recherche par immersion ethnographique de longue durée. En offrant un accès à une intimité militante difficilement explorable par d’autres voies méthodologiques que celle ici analysée, la recherche a finalement rendu possible une sociologie « par le soi » du « tourment militant ».","PeriodicalId":124377,"journal":{"name":"Cambouis, la revue des sciences sociales aux mains sales","volume":"14 1","pages":"0"},"PeriodicalIF":0.0,"publicationDate":"2021-04-03","publicationTypes":"Journal Article","fieldsOfStudy":null,"isOpenAccess":false,"openAccessPdf":"","citationCount":null,"resultStr":null,"platform":"Semanticscholar","paperid":"114080699","PeriodicalName":null,"FirstCategoryId":null,"ListUrlMain":null,"RegionNum":0,"RegionCategory":"","ArticlePicture":[],"TitleCN":null,"AbstractTextCN":null,"PMCID":"","EPubDate":null,"PubModel":null,"JCR":null,"JCRName":null,"Score":null,"Total":0}